Le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a donné une interview au correspondant de la chaîne de télévision « NTV », dans laquelle il a parlé de la situation en Ukraine et de l’initiative prise par les autorités ukrainiennes en vue d’ériger une Église autocéphale dans ce pays.

  • Jusqu’à quel point est-il correct que le président d’un pays et des structures non canoniques s’adressent à Constantinople, à Sa Sainteté le patriarche Bartholomée en personne, pour résoudre la question de l’autocéphalie en Ukraine ?
  • L’octroi de l’autocéphalie, ainsi que toute autre question interne à l’Église, ne peut pas résulter de l’initiative des pouvoirs civils. Dans la société actuelle, dans des pays comme la Russie, l’Ukraine, dans la majorité des autres pays, l’Église est séparée de l’état : elle décide elle-même comme résoudre ses propres problèmes, comment déterminer son statut. Ce n’est pas aux autorités civiles de dicter à l’Église ses formes d’existence, ni quelle doit être sa structure administrative.

La majorité absolue des orthodoxes d’Ukraine dépend de l’Église orthodoxe ukrainienne, la seule Église orthodoxe canonique du pays. Cela représente plus de 12 000 paroisses, plus de 200 monastères, ce sont des millions de fidèles. Ces fidèles n’ont pas demandé au président ukrainien, ni au patriarche de Constantinople, de leur octroyer l’autocéphalie.

Ce sont deux structures schismatiques qui en ont fait la demande : l’une est présidée par l’ex-métropolite de Kiev Philarète (Denissenko), la seconde par un autre leader schismatique. Ces deux structures demandent au patriarche Bartholomée de reconnaître l’autocéphalie de leur Église. Mais la majorité absolue des orthodoxes d’Ukraine n’est pas comprise dans ce projet, qui est initié et soutenu par les autorités civiles d’Ukraine, et ce n’est pas la première fois. Des tentatives dans le même sens avaient été entreprises il y a dix ans, à la veille du 1020e anniversaire du baptême de la Russie.

Cela fait plus de 25 ans qu’il existe un schisme en Ukraine. A l’époque, il avait été soutenu par les pouvoirs ukrainiens. C’est précisément grâce au soutien des autorités civiles que le schisme existe toujours. Sans leur soutien, il aurait depuis longtemps désenflé, comme c’est souvent arrivé dans le cas d’autres schismes dans l’histoire de l’Église.

  • Il s’agit donc d’une certaine forme de manipulation, si je comprends bien ? Les élections auront lieu l’an prochain, et les autorités ukrainiennes tentent de jouer une carte qu’ils ne possèdent pas…
  • Je pense que nous sommes effectivement en présence d’une tactique électorale. Mais je crains que cette tactique puisse avoir des résultats inverses, car on ne peut pas résoudre les problèmes ecclésiastiques en interférant grossièrement dans les affaires de l’Église. Il faut aussi dire que la rhétorique qui entoure le projet de cette soi-disant Église locale d’Ukraine est souvent employée par un autre groupe, celui des gréco-catholiques ukrainiens, dirigés par l’archevêque Sviatoslav (Chevtchouk). Il a souvent déclaré son soutien au projet d’Église locale unie d’Ukraine, affirmant en même temps que l’unité de l’Église repose sur la primauté de saint Pierre, autrement dit sur le pape de Rome. En d’autres termes, ce n’est rien d’autre qu’une nouvelle tentative pour entraîner les orthodoxes d’Ukraine dans l’uniatisme. Il y a eu des tentatives semblables par le passé.

Pour résumer, trois forces principales sont derrière ce projet : les autorités civiles ukrainiennes ; les structures schismatiques et les gréco-catholiques.

  • Ces derniers temps, les attaques contre les églises orthodoxes sont devenues plus fréquentes de la part des radicaux, avec lesquels le pouvoir ukrainien s’allie ouvertement. On peut citer des attaques contre la laure des Grottes de Kiev, tandis que plusieurs églises de province ont été victimes d’incendies criminels, ou pillées. A quel point la situation est-elle critique ?
  • La situation est alarmante, critique, même. Près de cinquante églises de l’Église canonique ukrainienne ont été illégalement usurpées par les schismatiques. De grands gaillards inconnus s’introduisent dans les églises, souvent portant des masques. Ils prennent des paroissiens en otage, notamment des femmes, les battent, expulsent le prêtre et échangent la communauté qui fréquentait l’église comme leur propre « communauté », à laquelle, selon leurs dires, appartient l’église, ou doit leur appartenir. L’affaire est souvent portée devant les tribunaux, l’Église canonique gagne le procès, parce que la justice est de son côté. Néanmoins, même lorsque le tribunal a reconnu la nullité de l’occupation de l’église, les occupants ne s’en vont pas.

La campagne pour la légalisation du schisme, que les politiques ukrainiens ont lancée, légitime notamment le vandalisme des schismatiques et des gaillards masqués. Nous avons vu les cadres terribles de vidéos et de photos : les églises orthodoxes sont saccagées, profanées, elles sont vidées, les sanctuaires ont été pillés. Cela ne peut pas ne pas alarmer au plus haut point.

Il y a à peine quelques minutes, nous avons entendu l’intervention du patriarche de l’Église orthodoxe serbe, qui vient de rencontrer Sa Sainteté le patriarche Cyrille. Plus tard, intervenant dans la Salle des Conciles de l’église du Christ Sauveur, il a dit que tout soutien au schisme en Ukraine menait les gens à leur perte. Il a clairement défini la position de l’Église orthodoxe serbe.

Il faut dire que les autres Églises locales expriment leur soutien à l’Église canonique ukrainienne. Aucune Église orthodoxe locale ne soutient le schisme.

Les Églises orthodoxes locales expriment plus ou moins fortement leur soutien à l’Église ukrainienne canonique, mais toutes parlent de la nécessité de respecter l’ordre canonique, affirment que le schisme ne doit pas être légitimé, car cela ferme, en fait, l’accès des schismatiques à l’Église. On revient du schisme par la pénitence, c’est la voie prévue par les canons ecclésiastiques, que l’Église orthodoxe russe et l’Orthodoxie mondiale invite les schismatiques ukrainiens à emprunter depuis un quart de siècle. J’espère que cette voix sera entendue.