Le métropolite Hilarion : Chacun doit développer le potentiel de bonté qu’il a en lui
Le 29 avril 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva dans l’émission « l’Église et le monde » (« Tserkov i mir »), diffusée les samedis et les dimanches sur la chaîne de télévision « Rossia-24 ».
E. Gratcheva : Bonjour ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde », nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Bonjour, Monseigneur.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina ! Bonjour, chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Monseigneur, le patriarche Bartholomée de Constantinople a déclaré que, selon lui, la réunion des Églises orthodoxe et catholique était inévitable dans l’avenir. Partagez-vous cette position ?
Le métropolite Hilarion : Je ne la partage pas, sur la base d’une analyse tout à fait réaliste de la situation à l’intérieur des Églises orthodoxes locales, et dans le dialogue orthodoxe-catholique.
N’oublions pas, d’un côté, que les fondements de notre foi sont identiques. Nous avons le même Symbole de foi : à l’exclusion d’un ajout fait par les catholiques, pour lesquels le Saint Esprit procède à la fois du Père et du Fils, tous les autres articles nous sont communs. D’un autre côté, il est impossible d’oublier que nous existons séparément depuis près d’un millénaire. Au cours de l’histoire, beaucoup de contradictions et de divergences se sont accumulées, non seulement sur des questions dogmatiques, mais aussi sur de nombreux autres thèmes. Il y a des personnages que l’Église catholique considère comme des saints, tandis qu’ils sont pour nous des hérétiques ou des persécuteurs de l’Orthodoxie.
Il n’y a pas si longtemps, une commission a été créée entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe serbe, pour étudier la possible canonisation du cardinal Stépinac par les catholiques. Ce cardinal était un Croate. Durant la Seconde guerre mondiale, selon l’Église orthodoxe serbe, il a participé personnellement et directement aux persécutions contre les Serbes, au génocide des Serbes. Les Croates le nient. Dans l’Église catholique il est vénéré comme un saint et la question de sa canonisation se pose.
L’Église orthodoxe serbe, tout en dialoguant, est restée sur sa position, et l’Église catholique croate sur la sienne. Je ne sais pas comment cette histoire se finira, mais les catholiques vont probablement le canoniser.
Il y a beaucoup d’exemples comme celui-là. Ce sont les croisades, lors desquelles les chevaliers latins pillèrent les églises orthodoxes. Ce sont les multiples tentatives d‘imposer l’union aux orthodoxes. Si les croisades remontent à un passé lointain, l’uniatisme fait encore problème aujourd’hui. Les uniates continuent à agir contre l’Orthodoxie, à rouvrir de vieilles plaies qui auraient pu cicatriser depuis longtemps. C’est ce qui se passe en Ukraine depuis cinq ou six ans : les uniates continuent leurs agissements anti-orthodoxes. L’ensemble de ces facteurs fait que je ne partage pas l’opinion du patriarche Bartholomée.
E. Gratcheva : Monseigneur, revenons maintenant à nos affaires internes. Beaucoup demandent pourquoi le patriarche Cyrille est allé à la prison de la « Boutyrka » à Pâques.
Le métropolite Hilarion : Le jour de Noël et le jour de Pâques, le patriarche Cyrille va toujours voir les gens qui, pour différentes raisons, n’ont pas la possibilité de venir à l’église. Il visite ainsi les grands malades, adultes et enfants. Cette fois, il est allé voir des prisonniers. Du point de vue de l’état, les prisonniers sont des gens qui ont enfreint la loi, ont commis un crime et doivent être isolés de la société. Mais du point de vue de l’Église, ce sont aussi des membres de l’Église, au même titre que ceux qui sont en liberté. Peut-être ont-ils même plus besoin de la protection de l’Église, d’être suivis par un pasteur, d’être consolés. Le patriarche a trouvé qu’il était de son devoir de pasteur de leur rendre personnellement visite.
L’Église est très présente, actuellement, auprès des détenus par le biais de ses prêtres, du Département synodal créé spécialement à cet effet. Dans le cas présent, le patriarche a, d’une part, accompli son devoir de pasteur, et, d’autre part répondu à un appel du cœur. Je sais qu’il voulait depuis longtemps aller visiter des prisonniers, et Pâques lui en a fourni l’occasion.
E. Gratcheva : Autre nouvelle qui a fait du bruit : le secrétaire de presse du patriarche a blâmé le prêtre qui avait chanté « Mourka » dans un presbytère. Beaucoup d’utilisateurs d’internet, qui ont vu la vidéo, se sont demandé pourquoi c’est le prêtre qui a été blâmé, et non l’évêque, son supérieur, devant lequel il a chanté ? Je me pose aussi la question : à votre avis, qu’est-ce qui est le plus choquant ici : les paroles de cette chanson, ou qu’elle soit chanté par un prêtre, disons-le poliment, pas tout à fait sobre ?
Le métropolite Hilarion : Commençons par dire que le prêtre n’a nullement été inquiété. On entend dire qu’un prêtre de Moscou a été envoyé en Transnistrie. En fait, ce prêtre venait de Transnistrie. Il a été renvoyé là où il devait se trouver. Il n’avait pas à être à Moscou, surtout pour s’y enivrer et pour y chanter des chansons de malfaiteurs. D’une part. D’autre part, l’attitude de ce prêtre, tel qu’il a été filmé, est inconvenante. Je pense que l’évêque diocésain de ce prêtre devra s’occuper du cas.
Quant à ce qui est le plus choquant : s’enivrer ou chanter des chansons de ce genre, je ne sais pas. Je pense que l’un et l’autre sont un péché. Le prêtre doit toujours donner l’exemple. Il ne doit jamais se montrer ivre sur l’espace public, ne doit pas jurer, ne doit pas chanter n’importe quelles chansons. Le prêtre doit observer un certain code de conduite. S’il n’y obéit pas, cela veut dire que son mode de vie n’est pas compatible avec sa profession, et qu’il doit donc penser à en changer, ou qu’il doit faire pénitence devant son évêque et devant l’Église.
E. Gratcheva : Comment expliquez-vous cette particularité de l’âme russe : d’abord tout le monde a blâmé le prêtre, puis, une fois que le secrétaire de presse du patriarche l’eût désapprouvé, tout le monde a pris sa défense.
Le métropolite Hilarion : Je pense que cela vient d’une mauvaise compréhension de la façon dont l’Église fonctionne. Tout prêtre est incardiné dans un diocèse. Si un prêtre se trouve hors de son diocèse, il doit y avoir une explication à cela : l’évêque peut l’avoir envoyé dans un autre diocèse, il peut avoir été invité dans un autre diocèse et s’y rendre avec l’autorisation de son évêque. Dans le cas présent, pour autant que je sache, il ne s’agissait ni du premier, ni du second, ni du troisième cas. Il vient souvent à Moscou des ecclésiastiques de différents diocèses, parce qu’ils ont perdu leur place, ou parce qu’ils veulent gagner de l’argent. Il va falloir lutter contre ces désordres canoniques, parce qu’un prêtre doit être rattaché à son église et la desservir, au lieu, excusez-moi, de traîner dans des lieux de plaisir, de participer à des beuveries ou de chanter des chansons de bandits.
E. Gratcheva : Les députés de la région d’Astrakhan ne luttent pas contre ces chansons, mais contre l’alcoolisme dans leur région. Ils ont proposé de recréer au niveau fédéral le système des chambres de dégrisement. Je me suis demandé comment luttait-on contre l’alcoolisme dans l’Église ? J’ai entendu dire qu’il existe dans le Département d’action caritative et sociale un secteur qui s’occupe de la prévention de l’alcoolisme chez les prêtres. Est-ce vrai ?
Le métropolite Hilarion : Nous ne faisons pas de différence entre le clergé et les laïcs, mais l’Église travaille, en effet, avec les personnes qui souffrent de dépendance à l’alcool. J’ai pu souvent me convaincre que si l’on force quelqu’un à se débarrasser artificiellement de sa dépendance, sans qu’il soit libéré intérieurement des causes spirituelles qui l’ont amené à cette dépendance, il risque de rechuter. L’Église estime que la personne sera délivrée de l’alcoolisme, de la drogue et des autres dépendances si elle est guérie spirituellement. J’ai été témoin de la renaissance de gens qui arrivaient complétement désespérés, enfoncés jusqu’au cou dans l’alcoolisme ou la drogue. Peu à peu, ils se transfiguraient et redevenaient des personnes tout à fait normales.
E. Gratcheva : On dit pourtant que plus quelqu’un est proche de Dieu, plus grandes sont les tentations. Tout naturellement, on est amené à se demander comment le prêtre peut-il se détendre ? Il effectue un sérieux travail de psychologue. C’est une chose que d’être moine au Mont Athos, une autre d’être un prêtre de paroisse, qui reçoit à chaque liturgie plusieurs centaines de personnes, doit écouter leurs malheurs, leurs problèmes, leurs espérances. C’est une sérieuse épreuve. Comment se débarrasser ensuite de ce stress ?
Le métropolite Hilarion : D’abord, il y a la notion de grâce divine. La grâce divine aide le prêtre à ne pas se charger des péchés qu’il entend, mais à les passer au travers soi, à ne pas voir le péché dans l’homme, mais comment le péché s’éloigne du pénitent au moment de la confession. C’est un sentiment étonnant que les prêtres connaissent par expérience. C’est la première chose.
La seconde, vous demandez comment le prêtre peut-il se détendre. Je pense qu’il existe bien des moyens. Et ces moyens n’ont rien avoir avec des dépendances chimiques, comme l’alcool ou la drogue. Au contraire, la plupart de nos prêtres sont des hommes mariés. Le prêtre peut se détendre dans sa famille, avec ses enfants. Il peut regarder avec eux une émission intéressante, leur lire un livre, aller dans la nature, se promener. Tout cela est accessible au prêtre. Nos prêtres sont des pères de famille ordinaires. Certes, leur ministère professionnel implique des responsabilités. Les prêtres qui sont en même temps moines ont d’autres moyens de détente. Ils peuvent lire de bons livres, écouter de la belle musique, aller dans la nature. Il y a plein de moyens, en fait.
E. Gratcheva : Vous venez de dire que le fait d’avoir une famille, une femme, des enfants est un grand soutien pour le prêtre. Pourquoi l’Église orthodoxe a-t-elle alors renoncé à avoir un épiscopat marié ? Beaucoup en retirent l’impression que les femmes gênent la hiérarchie de l’’Eglise dans son ministère.
Le métropolite Hilarion : L’Église a pris cette décision à un stade assez précoce de son histoire. Dès le IVe siècle, beaucoup d’évêques étaient déjà célibataires. Vers le VIe siècle, cela a été regardé comme une norme. Cela ne tient pas tant à des considérations théologiques, qu’à des considérations pratiques. L’évêque a le pouvoir absolu dans son diocèse. Il peut nommer et suspendre les prêtres, les déplacer d’un endroit à l’autre, il dispose des finances de l’Église. Si des sentiments de parenté, des obligations familiales viennent s’en mêler, la vie du diocèse peut sombrer dans le chaos.
E. Gratcheva : Monseigneur, lors de la réunion du Conseil de tutelle de la Laure de la Trinité-Saint-Serge, il a été déclaré que Serguiev-Possad pourrait avoir un statut de Vatican russe. Qu’est-ce que cela signifierait dans la pratique, si cela se concrétisait ?
Le métropolite Hilarion : En pratique, cela voudrait dire avant tout que la ville serait remise en ordre. Je suis souvent allé à Serguiev-Possad lorsque j’étais étudiant du Séminaire de Moscou, puis de l’Académie de théologie, ensuite en tant qu’enseignant. A chaque fois, j’étais frappé du fait qu’à l’intérieur de la Laure régnaient l’ordre et la propreté, tout était rénové, en parfait état, les plates-bandes bien soignées, les gens s’y sentaient bien. A peine sortis des murs de la Laure, on se retrouvait dans un endroit malpropre et désordonné, avec des maisons en bois croulantes, des bâtiments de pierre menaçant ruine, la ville était en très mauvais état. Certes, aujourd’hui, c’est beaucoup mieux, mais la ville est loin d’être le centre de pèlerinage et de tourisme qu’elle pourrait être. Pourtant, Serguiev-Possad est la perle de notre pays, la perle de l’Église russe. Il y aurait beaucoup plus de pèlerins et de touristes si l’infrastructure nécessaire à leur accueil existait.
Je citerais l’exemple d’un village de la région d’Iaroslav, Viatskoé. C’était un hameau russe ordinaire, dans un état assez piteux. L’église était en ruines, beaucoup de maisons s’étaient écroulées, les gens partaient. Un homme d’affaires, qui a, par la suite, reçu un prix national, a pris sur lui de restaurer ce village, et pas seulement de le restaurer, mais de lui restituer son aspect historique originel. Il a racheté les maisons les unes après les autres, les a restaurées en leur rendant leur caractère, puis les a vendues. Les gens sont revenus s’installer. Il a fait restaurer l’église. Il a créé dix musées. Des musées exceptionnels. J’en ai visité trois. Il y a le musée des instruments de musique mécanique, qui possède une collection de boîtes à musique, de gramophones, de vieux instruments. Il y en a des quantités, et tous marchent, on peut les écouter jouer.
Je rêve que Serguiev-Possad subisse la même transformation, qu’il devienne un centre spirituel et culturel vraiment attractif, non seulement pour les pèlerins orthodoxes, qui ne se soucient pas de ce qu’il y a au dehors tant qu’ils sont dans les murs de la Laure, mais pour tous nos compatriotes et pour les étrangers qui s’intéressent au patrimoine spirituel et culturel russe.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions des téléspectateurs, posées sur le site du programme « L’Église et le monde ».
Question : J’ai lu dans la Bible que : « Les pauvres ne disparaîtront point de ce pays » (Dt 15, 11). Cela veut-il dire qu’il n’y aura jamais de justice et d’égalité sociales ?
Le métropolite Hilarion : Toutes les tentatives entreprises par l’humanité pour établir une société fondée sur la justice se heurtent à la réalité, qui ne permet pas de parvenir entièrement à cet objectif. Toutes les tentatives de créer le Royaume de Dieu sur la terre se brisent à l’incapacité humaine à bâtir ce royaume sur la terre.
Nous avons été témoins du projet réalisé dans notre pays durant soixante-dix ans : on disait qu’on allait bâtir le communisme, qu’on serait tous égaux, heureux, qu’on exigerait de chacun en fonction de ses capacités, tandis qu’on rendrait à chacun selon ses besoins. Des délais avaient même été fixés : l’avènement du communisme serait pour dans vingt ans. Mais on n’a jamais pu réaliser cet idéal, car il s’agit d’une utopie. Elle ne tient pas compte de ce que le mal vit en l’homme, que les hommes ne sont pas toujours bons, mais peuvent être mauvais, qu’ils ne commettent pas que de bonnes actions, mais aussi des mauvaises.
A l’époque des Lumières, on croyait que les malheurs de l’homme venaient du manque d’instruction. Il aurait suffi de l’instruire pour qu’il ne fît que le bien et ne commette plus le mal.
L’Église chrétienne porte un regard plus réaliste sur l’homme. Elle dit qu’il y a en l’homme un potentiel de bien et de mal, et que la tâche de l’homme consiste à extirper en lui le mal en développant le bien. Une société plus juste peut alors s’établir, si ce n’est au niveau du monde entier, ni même d’un pays, du moins autour de cette personne et de son entourage immédiat. Tout homme qui se transfigure ainsi intérieurement transfigure peu à peu le monde. C’est pour cela que l’Église existe, c’est à cela qu’elle ne cesse d’œuvrer.