Le 30 août 2017, Sa Sainteté le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies a reçu à la Salle rouge de l’église du Christ-Sauveur de Moscou les membres de la III Université d’été pour les prêtres catholiques.

Le groupe était accompagné du prêtre Hyacinthe Destivelle, membre du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens.

Prenaient part à la rencontre le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, le prêtre Alexis Dikarev, collaborateur du DREE, le diacre Dimitri Serov, responsable du Département international de l’Institut des hautes études du Patriarcat de Moscou.

Accueillant ses hôtes, le patriarche Cyrille a dit : « Il me semble que c’est une bonne idée de réunir cette Université d’été pour le clergé de l’Église catholique romaine à Moscou. Il est bon également que les représentants de notre Église visitent aussi de la même façon Rome et le Vatican, et fassent connaissance avec la direction et la vie de l’Église catholique romaine ». Ainsi, selon Sa Sainteté, il se met en place un système dans lequel les deux Églises apprennent à mieux se connaître.

« Pourquoi ai-je parlé de système ? Parce que des échanges de ce type ont déjà été expérimentés épisodiquement dans le passé, a poursuivi le patriarche. Lorsque j’occupais dans notre Église les fonctions occupées maintenant par Mgr Hilarion, j’ai organisé plusieurs fois des échanges semblables, et j’ai même accompagné un de ces groupes à Rome. Mais ce furent des épisodes, alors qu’il existe maintenant un système qui permettra au jeune clergé des deux Églises de mieux faire connaissance. »

Comme l’a remarqué le Primat de l’Église orthodoxe russe, la création de ce système découle de sa rencontre en février 2016 à La Havane avec le pape François de Rome. « Cette rencontre a donné une vive et forte impulsion au développement des relations bilatérales, a témoigné Sa Sainteté. L’une de ses conséquences les plus éclatantes a été la translation en Russie des reliques de saint Nicolas, apportées de Bari. Cela a été un évènement tout à fait extraordinaire, gros d’une intense puissance spirituelle. »

Le patriarche a rappelé que durant les deux mois du séjour des reliques à Moscou et à Saint-Pétersbourg, environ deux millions et demi de personnes sont venues les vénérer.

« On a considéré un temps que la plus grande concentration de pèlerins était celle observée à La Mecque. Mais j’ai cherché à savoir combien de personnes vont à La Mecque par an, or il se trouve qu’elles sont environ deux millions. Plus de personnes en Russie sont venues voir saint Nicolas que de musulmans du monde entier viennent à La Mecque. Je ne sais pas combien de millions de personnes seraient venues vénérer les reliques si elles étaient restées toute une année. Ce fut un facteur spirituel très important pour l’affermissement de la foi dans le peuple. Les gens faisaient la queue pendant six, huit, dix heures pour vénérer la relique. Cette année, l’été a été très pluvieux, il y a eu de fortes pluies, mais les gens restaient debout sans broncher » a raconté le patriarche Cyrille aux représentants de l’Église catholique romaine. Il a souligné que des représentants de toutes les classes de la société étaient venus vénérer les reliques de saint Nicolas.

« Lorsque j’ai accompagné les reliques à Saint-Pétersbourg, j’ai dit qu’aucune action de diplomatie ecclésiastique ou de diplomatie tout court n’aurait pu faire plus pour le rapprochement de l’Orient et de l’Occident que ne l’a fait la translation en Russie des reliques de saint Nicolas. Ce simple fait que nous avons en commun des reliques, des objets sacrés, est devenu évident pour les orthodoxes de Russie, et cela ne peut pas ne pas laisser de traces » a constaté Sa Sainteté.

Le patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies a exprimé sa certitude que ce genre d’évènements et, plus généralement, le fait pour les fidèles des deux Églises, de faire l’expérience de la vie spirituelle l’une de l’autre, étaient un facteur important, contribuant au développement ultérieur des relations entre les Églises. « Je pense que les échanges de reliques doivent faire partie du programme de développement des relations entre les Églises » a dit Sa Sainteté.

La rencontre de La Havane a eu aussi d’autres conséquences très importantes, a rappelé le primat de l’Église orthodoxe russe. L’une d’entre elles est le témoignage commun de la tragédie des chrétiens du Proche-Orient. « Nous avons parlé très clairement avec le pape François, dans notre déclaration commune, de la tragédie qui se produit en ce moment, de ce qui est un génocide de la présence chrétienne au Proche-Orient. Cela a eu une grande résonnance et des conséquences certaines pour la communauté internationale » a assuré le patriarche Cyrille.

Sa Sainteté a rappelé que lorsque les chrétiens tentaient d’attirer l’attention sur la situation des chrétiens, ils entendaient généralement cette réponse : « Il n’y a pas que les chrétiens qui souffrent, parlons plutôt des autres ». « De mon point de vue, c’était une approche fausse et malhonnête de la situation actuelle au Proche-Orient, a souligné le primat de l’Église orthodoxe russe. On s’efforçait, au niveau international, d’éviter de parler de la situation des chrétiens au Proche-Orient et de la qualifier de génocide, plus généralement on évitait d’employer ce mot. Cependant, peu après notre Déclaration commune, le congrès américain a commencé à parler du génocide des chrétiens au Proche-Orient. Aujourd’hui, l’emploi du mot « génocide » à propos de la situation des chrétiens dans cette région du monde est pratiquement entré dans le langage au niveau international. Il est très important que nous ayons pu attirer l’attention sur la tragédie du christianisme et des chrétiens dans les lieux où le christianisme naquit. »

Le patriarche Cyrille a également qualifié de très important le passage de la Déclaration commune sur l’Ukraine et notamment le fait que l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine aient dit clairement que dans la crise ukrainienne, le rôle de l’Église devait être de contribuer au rétablissement de la paix. « Vous savez que notre Église a, dès le début, déclaré que la mission de l’Église dans un conflit comme celui qui se poursuit aujourd’hui en Ukraine, ne pouvait être qu’une mission pacificatrice, a rappelé Sa Sainteté. Notre Église a des fidèles dans l’Ouest de l’Ukraine, dans l’Est, dans le centre. Comment une Église peut-elle s’identifier aux uns ou aux autres ? Cela veut dire se faire l’ennemi de quelqu’un. L’Église ne peut se faire l’ennemi de qui que ce soit. »

L’Église orthodoxe russe s’était déjà retrouvée dans une situation semblable dans les années 90, après la chute de l’Union soviétique a constaté le patriarche. « A l’époque, la Russie était secouée par des turbulences politiques, différents partis, différentes forces s’opposaient violemment. Chacun voulait que l’Église soit de son côté, a rappelé le patriarche Cyrille. Les démocrates disaient : voilà, nous avons anéanti le communisme, le parti communiste vous persécutait, donc vous devez être avec nous contre les communistes. Les communistes disaient : nous sommes une force patriotique, tous ces nouveaux partis font le jeu de l’Occident, ils sont anti-patriotiques, vous devez être avec nous contre ces partis. Nous avons répondu : non, ce n’est pas possible. Il n’est pas possible que quelqu’un, en venant à l’église, se demande s’il aura affaire à des amis ou à des ennemis. Personne ne doit prendre la décision d’aller ou non à l’église en partant de ses convictions politiques. L’Église doit être un espace pour tous, elle ne doit pas s’identifier à un programme politique. Elle a son propre programme, basé sur l’Évangile. Et notre tâche devant l’homme moderne est de lui transmettre le message du Christ de façon qu’il y réponde, quelles que soient ses opinions politiques. »

Sa Sainteté a constaté que la Déclaration commune témoignait d’une convergence de positions sur la situation en Ukraine. Ce document dit en effet : « Nous appelons nos Églises en Ukraine à œuvrer à l’établissement de la concorde civile ». « Nous estimons que c’est un facteur de paix très important et positif pour l’Ukraine » a dit le primat de l’Église russe.

Le patriarche a aussi brièvement soulevé la question de l’uniatisme. « Ce thème a suscité de nombreuses luttes, il a coûté beaucoup de sang, a rappelé Sa Sainteté. L’erreur et le danger de l’uniatisme consistait à être une tentative de réaliser l’unité avec une partie de l’Église en l’arrachant à une autre partie de l’Église : s’unir à Rome et rompre les liens avec ses propres communautés. Là où il y a séparation, il y a toujours division, sang et douleur. Il est remarquable que nous ayons pu affirmer avec le pape : l’uniatisme n’est pas une méthode pour surmonter les divisions. »

Dans leur déclaration, le pape François et le patriarche Cyrille ont aussi exprimé leur commune compréhension de la nécessité de défendre les fondements chrétiens de la vie européenne et de la civilisation européenne. « Ce qui se passe aujourd’hui en Europe occidentale, en Amérique du Nord, nous blesse profondément, a témoigné le primat de l’Église orthodoxe russe. En refusant de voir que le christianisme a déterminé le développement de la civilisation européenne, on commet une grande erreur historique et les conséquences pour les Européens peuvent être graves. Lorsque les Européens réfléchissaient à la rédaction de la Constitution européenne, ils ont, comme vous le savez, rejeté l’idée de mentionner les racines chrétiennes de la civilisation européennes. Les évènements qui ont suivi ont montré que beaucoup d’Européens pensent effectivement aujourd’hui que l’étape des valeurs chrétiennes est terminée dans le développement de la civilisation européenne. »

Dans ce contexte, le patriarche a mentionné le défunt pape Jean-Paul II, qui parlait de la nécessité d’une nouvelle évangélisation de l’Europe. « Il faisait bien d’appeler à la ré-évangélisation, mais ses appels ont été lancés dans un autre contexte historique que celui d’aujourd’hui. C’est pourquoi ce qui se passe aujourd’hui exige de nous une réponse commune claire et forte. Non seulement sous la forme d’une Déclaration commune, mais par des actions communes » a déclaré le primat de l’Église orthodoxe russe.

Il a expliqué qu’on luttait aujourd’hui autour de ces thèmes en Russie. « Mais nous remercions Dieu de ce que le message que notre Église adresse aux gens, notamment dans le domaine de la morale familiale, est accueilli positivement par la majorité absolue de la société, notamment par la majorité absolue au Parlement, a poursuivi le patriarche. La seule question sur laquelle nous continuons à discuter est celle de l’avortement. Mais ces derniers temps, de plus en plus de gens, notamment des députés, ont conscience qu’il faut introduire des limites à la pratique de l’avortement. Nous continuerons à travailler avec la société, avec les hommes politiques, afin que le message chrétien sur l’avortement, qui est un péché, pénètre dans les consciences de la majorité des gens. La situation en Russie est relativement complexe, car l’Union soviétique a été le premier pays du monde à autoriser l’avortement sans aucune limitation. Cela s’est produit peu après la révolution, et quatre générations se sont déjà succédé, pour lesquelles cette pratique est tout à fait normale. »

Ainsi, aujourd’hui, l’Église s’efforce de reformater les esprits des gens, mais, comme l’a constaté le patriarche Cyrille, l’inertie qui entoure ce qui est déjà une tradition, complique ce travail. C’est pourquoi il est si important de travailler avec la jeunesse.

« Nous constatons avec satisfaction de grands succès dans le travail avec la jeunesse de certains diocèses catholiques d’Europe et d’autres pays. Nous étudions actuellement l’expérience de l’Église catholique polonaise, qui nous est proche, car il s’agit de sociétés slaves. Il existe certes des difficultés dans les relations entre Polonais et Russes, mais il y a quelque chose de commun qui permet une certaine compréhension mutuelle. Par exemple, beaucoup de gens dans notre pays considèrent avec sympathie le travail effectué par l’Église catholique de Pologne avec la jeunesse. Nous en voyons les résultats positifs. »

Le patriarche a raconté aux participants de la III Université d’été pour les prêtres catholiques quelle infrastructure devrait être mise en place pour développer cette sphère. « Pratiquement dans toutes les paroisses, même les plus petites, quelqu’un est désigné pour s’occuper des jeunes. On travaille beaucoup à l’organisation d’un mouvement de volontaires à l’échelle du pays tout entier. Il y a des prêtres orthodoxes dans beaucoup d’universités, ainsi que des églises ou des chapelles. Mais il y a encore beaucoup à faire afin de sentir que nos efforts ont un résultat visible et sensible. »

Selon Sa Sainteté, la jeunesse contemporaine en Russie et dans l’espace post-soviétique est sous l’influence de deux facteurs importants qui rendent difficiles l’acceptation de la prédication de l’Église. D’une part, il s’agit des restes de l’ancienne atmosphère athée dans le pays, l’éducation dont l’athéisme au quotidien se répercute sur la vision du monde de leurs enfants, des étudiants. D’autre part, ces reliquats d’athéisme soviétique ont été renforcés par la puissante influence de la civilisation occidentale actuelle avec ses valeurs consuméristes, l’accent mis sur la vie matérielle, le mépris de la vie spirituelle. « Cependant, malgré les difficultés, je constate une amélioration considérable et une certaine christianisation de la jeunesse » a remarqué le primat de l’Église russe.

Le prêtre Hyacinthe Destivelle a remercié le patriarche Cyrille de cette rencontre et de l’entretien, ainsi que de la possibilité offerte aux jeunes prêtres catholiques de visiter les églises, les monastères et les sanctuaires de l’Église orthodoxe russe. Il a dit espérer que se développerait la pratique de l’Université d’été préparant les prêtres qui devront appliquer le programme de la Déclaration commune du pape François de Rome et du patriarche Cyrille de Moscou et de toutes les Russies.

Ensuite, le patriarche a répondu aux questions des invités de l’Église catholique romaine. A la fin de la rencontre, le patriarche a remis des cadeaux à ses hôtes.