Le métropolite Hilarion : L’Église ne craint pas les persécutions, car sa force est dans la puissance du Christ
Le 13 août 2017, 10e dimanche après la Pentecôte, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a célébré la Divine liturgie à l’église moscovite Notre-Dame-Joie-de-tous-les-affligés, rue Bolchaïa Ordynka.
Après la litanie instante, Mgr Hilarion a prié pour la paix en Ukraine.
A la fin de l’office, le métropolite a prononcé une homélie.
« Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit !
Aujourd’hui, chers frères et sœurs, nous avons entendu dans l’Évangile, un récit rapportant comment un homme amena à Jésus Christ son fils possédé d’un démon. Le malheureux Père raconte à Jésus qu’il avait déjà amené son enfant à Ses disciples, mais qu’ils n’avaient pas pu l’aider. Le Seigneur répond alors : « Génération infidèle et pervertie ! Jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? » (Mt 17, 14). Le Fils de Dieu guérit l’adolescent, et, lorsque les disciples lui demandent pourquoi ils n’avaient pas réussi à le faire, le Christ répond : « Cette espèce de démons ne s’expulse que par la prière et par le jeûne » (Mt 17, 17).
Lorsque nous lisons dans l’Évangile des récits de guérison de possédés, nous pensons que la « possession » est un phénomène du passé, qu’il n’existe aujourd’hui plus de possédés. Les démons se seraient cachés quelque part, et ne se déchaîneraient plus comme dans les récits évangéliques.
Pourtant, les démons existent toujours. Ils continuent à vivre au milieu des hommes, à l’intérieur des hommes. Ils n’ont fait que changer de tactique et de stratégie, car ils ne sont pas si sots qu’on pourrait le croire, et n’agissent pas toujours de la même façon. Ils s’adaptent à la mentalité des gens, en fonction des époques. De nos jours, peu de gens croient aux démons. Si quelqu’un évoque la doctrine de l’Église sur les diables, beaucoup rétorquent : ce n’est pas sérieux, la science a démontré que les démons n’existaient pas. Et les démons s’y sont adaptés. Il semble qu’on ne puisse ni les voir, ni les entendre. Personne ne hurle d’une voix inhumaine, ni ne tombe à terre en écumant… Pourtant, les démons continuent leur « travail ». Seulement, ils s’y prennent autrement qu’il y a 2000 ans. Ils « travaillent » à une autre dimension, emploient d’autres méthodes, mais sont toujours aussi actifs qu’autrefois.
Le grand écrivain russe Fiodor Dostoïevski a écrit un roman qu’il a intitulé « Les démons ». Cet ouvrage décrit tout ce qui allait se produire en Russie dans les décennies à venir, décrit les gens qui ont pris le pouvoir. Nous commémorons cette année le centenaire de ce qu’on appelle « la grande révolution d’octobre », que certains appellent même « la grande révolution russe », par analogie avec la « grande révolution française ». Ce sont ces démons qui, en s’introduisant dans les hommes, se sont d’abord emparés de leurs esprits, puis ont pris le pouvoir dans le pays, avant d’étendre une terreur sans exemple, l’iniquité, les assassinats, les persécutions, notamment les persécutions contre l’Église, et pas seulement contre elle. Dans les faits, c’est un pouvoir qui a persécuté ses propres citoyens.
Aujourd’hui, nous faisons mémoire du saint martyr Benjamin, métropolite de Petrograd, et de ceux qui furent condamnés à mort avec lui lors du procès dit des biens ecclésiastiques.
La politique des bolcheviks amena la famine, une famine épouvantable dans la région de la Volga inférieure et ailleurs. Les gens mourraient par milliers, faute de trouver quelque chose à manger. Les historiens réfléchissent aujourd’hui à ces évènements, tentent de l’expliquer de différentes manières. On sait que le leader du pouvoir bolchevik de l’époque, Lénine, dont le corps est toujours conservé au centre même de Moscou, sur la place Rouge, et à qui des monuments sont dédiés dans tout le pays, a rédigé une instruction secrète destinée aux membres du Politburo (elle a été publiée il y a déjà longtemps) ordonnant de profiter de l’occasion, la famine, pour retirer à l’Église ses biens sous prétexte d’aide aux affamés, et pour fusiller le plus possible de représentants du clergé. Cette instruction marque le début de la confiscation des biens d’Église, soit disant au profit des affamés.
Durant des siècles, l’Église avait accumulé bien des richesses : icônes enchâssées dans des revêtements de pierres précieuses, vases sacrés, etc. Le patriarche Tikhon, placé à la tête de l’Église russe en ces temps troublés, connaissant la tragédie que vivait le peuple, donna l’ordre de remettre les objets précieux appartenant à l’Église pour sauver les affamés. Il fonda même un comité spécial chargé de leur collecte.
Mais ce n’était pas ce que voulaient les bolcheviks. Ils ont donc passé sous silence l’initiative du patriarche Tikhon, fermé le comité et organisé une campagne de confiscation des biens d’Église afin, d’une part, de s’attribuer ses biens, d’autre part, comme l’indiquait l’instruction secrète de Lénine, de fusiller le plus possible de « prêtres réactionnaires ».
Saint Benjamin, métropolite de Petrograd, l’un des hiérarques les plus respectés de l’Église russe qui avait été élu à son poste par le peuple de Petrograd, a été condamné à cause de cette affaire lors d’un des premiers procès publics intentés au clergé. Ensuite, les « démons » ont choisi une autre tactique. Ils ont cessé d’organiser des procès et ont tout simplement fusillé les clercs sur la sentence de ce qu’on a appelé les « troïkas » : il suffisait de trois personnes pour prononcer la sentence et pour fusiller le condamné.
Dans les années 1920, cependant, on s’efforçait encore d’observer les formes judiciaires. Saint Benjamin a été conduit au tribunal avec des membres du clergé et des laïcs de la métropole de Saint-Pétersbourg. Les accusés avaient un bon avocat, un Juif d’origine et de confession, qui mit tout en œuvre pour les faire relâcher. Mais ses efforts restèrent vains, pour la simple et bonne raison que l’issue du procès était décidée d’avance, car il s’agissait de condamner ces gens à mort et de les exécuter. La sentence a été lue et appliquée. Saint Benjamin, métropolite de Petrograd, est venu rejoindre la cohorte déjà longue des martyrs et des confesseurs de l’Église russe.
Ce n’est pas pour accuser ou pour juger que nous faisons aujourd’hui mémoire de ces évènements mais pour témoigner de ce que l’Église n’oublie jamais ses héros. Ceux qui restèrent fermes pour défendre la foi orthodoxe à une époque où se déchaînaient les démons, ceux qui ont défendu l’Église et n’ont pas craint de donner leur vie pour le Christ, sont les vrais héros de l’esprit pour l’Église. La Sainte Église les a canonisés, et nous adressons aujourd’hui nos prières à ces célestes intercesseurs et protecteurs.
Saint Benjamin, lorsqu’il était déjà en prison, écrivit une dernière lettre à ses enfants spirituels, juste avant de mourir : « Dans mon enfance, je lisais les vies des martyrs chrétiens et j’admirais leur héroïsme (…), regrettant de tout cœur que ces temps fussent révolus et que je n’eusse pas à vivre ce qu’ils vécurent. Mais les temps ont changé, nous pouvons aujourd’hui souffrir pour le Christ (…) Mes souffrances ont atteint leur apogée, mais les consolations ont aussi augmenté. Je suis joyeux et calme, comme toujours. Le Christ est notre vie, notre lumière, notre repos. Avec Lui, on est bien toujours et partout. »
Ces mots du saint martyr dont nous célébrons la mémoire, témoignent de ce que l’Église ne craint pas les persécutions, ni les démons, car sa force est dans la puissance du Christ. Dans l’histoire de l’Église, il y a des périodes de tranquillité et de prospérité. Mais, je le répète, les démons veillent, ils changent de tactique et de stratégie. Ils agissent par d’autres moyens et attendent leur heure pour surgir à la surface. Et alors, les ministres de l’Église doivent faire montre d’une certaine force d’esprit, de leur volonté d’abnégation complète, allant jusqu’à donner sa vie pour le Christ et pour l’Église.
Dans les temps prospères, nous devons être capables de discerner les démons qui se trouvent près de nous et tentent de faire vaciller nos communautés ecclésiastiques, la société, la patrie, cherchant à soulever les gens contre l’Église. Des démons comme cela, il y en a aujourd’hui. Et les possédés existent aujourd’hui. Simplement, ils n’ont pas la même allure que ceux décrits dans l’Évangile.
Soyons fermes et soyons sur nos gardes pour la Sainte Église orthodoxe. Demandons au Seigneur de préserver l’Église des persécutions, afin que la tragédie qui s’est produite il y a cent ans ne se reproduise jamais dans l’histoire de notre pays, et afin que le Seigneur garde Sa Sainte Église jusqu’à la fin des temps. Amen ».