Le métropolite Hilarion de Volokolamsk : Il n’y a pas de terrorisme islamique
En octobre 2015, l’Église orthodoxe russe a obtenu la reconnaissance de la théologie comme discipline scientifique. Un Conseil de soutenance vient d’être créé. Dans une interview à « Interfax-religion », le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures explique en quoi la théologie se différencie des sciences religieuses, comment empêcher ces dernières de se transformer en « athéisme scientifique ». Il dit aussi si l’on peut employer l’expression « terrorisme islamique » et parle de la nocivité des sectes.
– Monseigneur, dans vos interventions publiques, vous dites souvent qu’il ne convient pas d’employer des expressions comme « terrorisme religieux » ou « terrorisme islamique ». Pourquoi ?
– Ces dernières années, nous avons été confrontés à une poussée de terrorisme encore jamais vue, que beaucoup appellent par erreur « islamique » ou « religieux ». Beaucoup de gens sont persuadés que les terroristes qui sévissent aujourd’hui au Proche Orient et dans certaines autres régions du monde commettent leurs méfaits parce ce que c’est ce qu’enseigne leur religion. Mais aucune religion n’enseigne qu’il faut tuer des gens, commettre des crimes et des actes terroristes. On assiste à une sorte de substitution, avec des gens qui commettent des crimes en les justifiant par des slogans religieux, qu’ils utilisent aussi pour recruter. C’est-à-dire qu’il ne faut pas parler de terrorisme religieux, mais de terrorisme à slogans religieux, dans lequel des gens commettent des crimes et blasphèment en s’abritant derrière le nom de Dieu et la religion.
– Le 22 avril, à l’Académie russe d’économie nationale et de service public a eu lieu un symposium national qui a rassemblé des théologiens et des religiologues. Quelle est la différence entre la religiologie et la théologie.
– La théologie est enseignée par des gens qui connaissent une tradition religieuse de l’intérieur, alors que les religiologues voient la religion de l’extérieur. Nous ne disons pas que ce n’est pas bien, ou que c’est inadmissible. Pendant le symposium que vous avez mentionné, j’ai comparé la théologie et les sciences religieuses avec la musique et la musicologie. Il y a des musiciens-praticiens : les uns jouent du piano, d’autres du violon, d’autres encore du cor, certains écrivent de la musique. Et il y a des critiques musicaux, qui évaluent le travail des praticiens, qui nous disent quel pianiste joue mieux, lequel joue moins bien, quelle musique peut-on écouter, laquelle doit-on éviter. Les praticiens croient souvent les théoriciens inutiles parce que les critiques musicaux gênent généralement les compositeurs, les pianistes, les joueurs de cor, etc. Mais ils peuvent être utiles à l’auditeur.
De la même façon, nous affirmons que les sciences religieuses peuvent être utiles, dans la mesure où elles permettent de regarder la religion de façon détachée, je ne veux pas dire de façon objective, car, à mon sens, on ne peut avoir un regard objectif sur une religion qu’à l’intérieur de cette tradition religieuse. Mais il peut être utile d’examiner certaines lois générales, les relations entre traditions religieuses, les processus qui se produisent à l’intérieur de chacune, et ce, de l’extérieur. Nous avons aussi besoin d’un regard extérieur. Nous nous renfermons parfois dans notre milieu et cessons de voir nos propres défauts. Lorsque quelqu’un nous les indique avec délicatesse, nous réagissons positivement.
– Beaucoup de religiologues contemporains ont enseigné autrefois « l’athéisme scientifique » et défendent aujourd’hui des positions athées. Un dialogue est-il possible entre théologiens et religiologues dans ce contexte ?
– Sans coopération avec la théologie, les sciences religieuses peuvent à nouveau retomber dans « l’athéisme scientifique ». A mon avis, l’erreur de cet athéisme scientifique consiste à se présenter comme une idéologie objective : d’un côté, disait-on, il y a différentes erreurs en forme de religions, en voici une, une deuxième, une troisième, etc, tandis que l’athéisme scientifique donnent aux gens un regard scientifique sur le monde.
Or, la science et la religion sont deux domaines différents. Je connais des quantités de spécialistes, y compris dans les domaines des sciences naturelles, qui sont profondément religieux. La foi ne les empêche pas d’être des scientifiques.
Je pense que les rapports entre sciences religieuses et théologie doivent avoir la forme d’un dialogue. Ce dialogue est nécessaire tant aux théologiens qu’aux religiologues. Je pense qu’il est très important que les théologiens et les religiologues existent en parallèle. Ce sont deux domaines qui ne doivent pas être en concurrence, car ils utilisent des méthodes différentes, ont un regard différent sur les traditions religieuses. Mais le dialogue est nécessaire, sans lui les sciences religieuses se transformeront effectivement en athéisme scientifique, violemment opposé aux traditions religieuses.
Récemment, un religiologue discutait avec moi mon point de vue qu’il n’y a pas de terrorisme religieux. Pour nous, religiologues, disait-il, le wahhabisme, le satanisme sont aussi des religions. Nous ne sommes pas d’accord : il y a la religion et il y a l’anti-religion. Nous, orthodoxes, sommes en contact avec d’autres traditions religieuses, nous rencontrons les musulmans, les bouddhistes, les juifs. Mais nous ne rencontrons pas les satanistes, les sectataires, les terroristes. Nous ne dialoguons pas avec eux. Je pense que vous comprenez bien que le seul dialogue qu’on peut avoir avec les terroristes c’est de les exterminer. Malheureusement, l’humanité ne connaît pas d’autre remède à cette peste.
Le satanisme, les sectes sont du même ordre. Même si les satanistes ne tuent pas les gens physiquement, ils les détruisent spirituellement et moralement. C’est pourquoi nous ne pouvons pas dialoguer avec eux. Nous ne pouvons que lutter contre eux. Il est très important que les théologiens et les religiologues comprennent le danger que représentent ces doctrines.
Si quelqu’un dit : « Je ne suis pas croyant. J’ai lu la Bible, mais elle ne m’a pas plu, j’ai été à l’église, mais cela ne m’a pas intéressé », c’est son droit. Mais lorsqu’on vend sous l’aspect d’une religion ce qui est de notre point de vue une anti-religion, cela représente un sérieux défi. N’oublions pas que les démons prennent souvent, en ce monde, la forme d’anges, comme nous en prévient l’apôtre Paul. Les sectes, à leur tour, prennent le masque d’églises.
– Quel principal danger représentent les sectes ?
– Je vous répondrai d’après l’expérience de ma paroisse de la rue Ordynka. L’un des prêtres de notre église organise régulièrement des entretiens pour les victimes des sectes. Ce sont généralement des gens baptisés, élevés dans la foi orthodoxe, qui, pour une raison ou pour une autre ont ensuite quitté l’Église pour rejoindre une secte. Lorsqu’ils reviennent vers nous, ils rencontrent notre prêtre, pendant six mois ils ont des rencontres avec lui ; puis ils sont réintégrés dans l’Église. Le rite de réintégration à l’Église, je le célèbre deux fois par an, et il touche chaque fois entre 50 et 100 personnes. Le samedi de Lazare, une centaine de personnes ont ainsi rejoint l’Église, ou, plus exactement, l’ont réintégrée.
Quelles leçons tirerai-je de mes échanges avec ces personnes ? Je vois que pendant le temps qu’ils ont passé dans leur secte, on est parvenu à les briser spirituellement, psychologiquement, moralement. Ils ne sont plus les mêmes que lorsqu’ils quittaient l’Église, ils sont brisés, ont parfois des problèmes psychiatriques. Peut-être ont-ils été attiré dans une secte parce qu’ils avaient des prédispositions. Les gens des sectes ne sont pas des sots, ils n’attirent pas dans leurs filets n’importe qui. Ils marchent dans les rues, ils s’adressent à une personne, à une seconde, puis à une troisième. Cent personnes passeront leur chemin, mais la cent-unième écoutera et parlera aux recruteurs. Cela veut bien dire qu’il existe une certaine prédisposition, et ce sont ces gens qui sont recrutés.
Mais ce qui leur arrive lorsqu’ils ont été recrutés est parfaitement horrible. Les sectes brisent les familles, on leur prend leurs biens, on en fait des malades psychiatriques, des zombies. Leur retour à l’Église est toujours très difficile, très douloureux. En échangeant avec eux, je constate les dégâts faits par les sectes.
Les orthodoxes peuvent vivre en paix avec les musulmans, avec les juifs, avec les bouddhistes, avec les athées (y condition qu’ils ne soient pas des athées militants luttant par tous les moyens contre la religion). Mais la coexistence pacifique avec les sectes et les satanistes n’est pas possible. Nous devons lutter contre elles. Je pense que cette lutte doit être commune, indépendamment des convictions religieuses des uns et des autres.
Croyant ou incroyant, je pense que personne ne souhaite que son fils ou sa fille ne tombe entre les mains d’une secte sataniste. Cela veut dire que croyants et athées peuvent s’unir sur ce plan. Les religiologues, croyants ou non, peuvent être d’une grande aide dans la lutte contre les cultes destructifs. Mais uniquement à la condition qu’ils sachent faire la distinction entre religion et anti-religion, entre orthodoxe et satanisme, entre l’Église et les sectes.