Au dernier jour de son séjour en Russie, Mekhmet Pacaçi, chef de la Direction aux affaires religieuses de la République de Turquie, a donné une interview à RIA « Novosti »
La délégation de la Direction des affaires religieuses de la République de Turquie a effectué un voyage en Russie pour y participer à la seconde réunion du groupe de travail commun avec l’Église orthodoxe russe. Pendant cette visite, le chef de la délégation, Mekhmet Pacaçi, chef du Département des relations extérieures de la Direction des affaires religieuses de la République de Turquie a rencontré le métropolite Hilarion de Volokolamsk. Les visiteurs turcs se sont également rendus à la Laure de la Trinité-Saint-Serge et ont visité les écoles de théologie de Moscou.
A la fin de son séjour, M. Pacaçi s’est entretenu avec le correspondant de RIA « Novosti ».
– Monsieur Pacaçi, cette semaine avait lieu la seconde réunion du groupe de travail de l’Église orthodoxe russe et de la Direction aux affaires religieuses de la Turquie. Quelles questions ont-elles été abordées pendant cette réunion ?
– L’un des principaux thèmes de cette réunion était la situation des minorités religieuses dans le monde. Les représentants de l’Église orthodoxe russe ont attiré l’attention sur la situation des minorités religieuses en Syrie, en Égypte, dans d’autres pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, parlant des actes d’agression et des mauvais traitements dont ils font l’objet. Il va de soi que nous sommes fâchés de cette situation dans une région qui est très proche de nous.
En ce qui concerne la Syrie, elle est en état de guerre, et, indépendamment de l’appartenance confessionnelle, les représentants de toutes les religions et la population civile en souffrent et en éprouvent de l’amertume. Environ trois millions de personnes répondent au statut de personnes déplacées internes. Nous sommes très affligés de ce que les actes d’agression touchent aussi les monuments orthodoxes, les sanctuaires qui ont appartenu aux générations précédentes et sont également le patrimoine des peuples musulmans. A cause de l’absence de droit et de loi dans le pays, des centaines de mosquées ont aussi été détruites.
Quant à l’Égypte, elle est encore déstabilisée, la situation y est troublée et les minorités religieuses du pays en souffrent. En Asie du Sud-Est, les adeptes de la religion bouddhiste manifestent leur extrémisme à l’encontre des musulmans. Peu importe par qui et contre qui sont perpétrés ces actes d’arbitraire, d’illégalité et d’agression, en tant que représentants de communautés religieuses, nous sommes tenus de travailler à faire avancer les valeurs communes à l’humanité afin de garantir la paix et la prospérité dans les régions difficiles.
– Revenons à la Syrie, où la situation est particulièrement tendue actuellement, quelles seraient, à votre avis, les mesures qui permettraient de défendre les droits des chrétiens et d’autres minorités religieuses dans le pays ? Faut-il attendre la résolution du problème syrien du prochain tour des négociations à Genève ? Comment évaluez-vous l’efficacité de ce format ?
– La majeure partie de la population syrienne confesse l’islam, mais, comme je l’ai dit, à cause de la guerre civile et des conflits internes, les représentants d’absolument toutes les communautés religieuses souffrent. Et, avant tout, il faut prendre des mesures pour assurer le respect des lois, un espace de droit normal, l’arrivée au pouvoir de dirigeants qui représenteraient toutes les couches de la population, ainsi que des mesures pour assurer l’égalité des droits et la prévention des actes de violence et d’agression. La Turquie, l’état comme le peuple, s’efforcent d’y contribuer, d’assurer la paix et le calme dans la région. Ainsi, pendant le conflit, notre pays a accueilli environ un million de réfugiés, et ce ne sont pas seulement des musulmans, mais aussi des chrétiens, des membres de l’Église arménienne et d’autres confessions.
Nous estimons également que le gouvernement syrien doit compter avec la volonté de son peuple, afin que le pouvoir soit celui du gouvernement et de la direction du pays choisies par le peuple syrien et ayant reçu son approbation.
Quant aux négociations de Genève sur la Syrie, nous attendons qu’elles assurent le calme et la paix dans la région. En tous cas, c’est ce que nous espérons et que nous désirons.
– On parle régulièrement d’enlèvement de chrétiens et de représentants d’autres minorités religieuses en Syrie. On ne sait toujours rien du sort des feux métropolites syriens enlevés le 22 avril dernier à Alep. Suivant certains renseignements parus précédemment, les recherches des deux otages sont menées ou peuvent être menées avec la participation de plusieurs pays. La Turquie participe-t-elle d’une façon ou d’une autre à ce processus ?
– La position de la Turquie sur cette question et le sentiment du musulman est que semblables actes d’agression à l’encontre de quelle communauté religieuse que ce soit est inadmissible. Nous souhaitons vraiment que les clercs dont vous parlez reviennent chez eux, chez leurs parents et leurs proches. Malheureusement, je ne peux dire ni m’imaginer comment y parvenir. Je peux cependant vous assurer que la Turquie fera tout ce qu’elle pourra pour le salut de ces ministres du culte.
– A la fin du mois de mars, suite à une attaque de groupuscules extrémistes sur la ville de Kessab, à la frontière de la Turquie, les maisons de nombreux habitants, des Arméniens chrétiens, ont été détruites. Certains médias affirment que des officiers turcs participaient à cette attaque des rebelles. Comment commenteriez-vous pareilles informations ?
– Il va de soi qu’il peut y avoir de nombreuses rumeurs et fausses informations autour de semblables conflits résultant d’une guerre civile. Mais, suivant les dernières informations, la Turquie a accueilli, a recueilli les Arméniens, les chrétiens de Kessab et a déclaré que tous les sinistrés pouvaient venir en Turquie en tant que réfugiés. Cette déclaration a été faite officiellement devant toutes les organisations internationales compétentes. Pour autant que je sache, certains de ceux qui se sont trouvés en Turquie ont pu y retrouver des parents, des compatriotes résidant dans notre pays. Les médias turcs en parlent.
J’aimerais souligner que tous ceux qui combattent contre le régime syrien et participent à ce conflit aux côtés de l’opposition ne sont pas tous des extrémistes. Il y a des gens qui cherchent la justice, qui tentent de l’instaurer, d’expliquer leur vision de la situation. Et il est inadmissible de supposer que la Turquie, les représentants de notre pays peuvent agir de concert avec les extrémistes qui excitent la haine interreligieuse et interethnique. C’est absolument inadmissible.
– Les actes de vandalisme perpétrés le 23 mars contre l’église Sainte-Parascève à Istanbul ont suscité l’inquiétude de la Russie. L’an dernier, la Douma d’état de la Fédération de Russie a adopté une loi renforçant la responsabilité pour les actes de profanation des lieux saints et les atteintes aux lieux de culte et aux sanctuaires des différentes religions. La question de la lutte contre l’extrémisme religieux et des profanations contre les sanctuaires religieux qui ont lieu dans différentes parties du monde ont-elles été discutées pendant la réunion du groupe de travail ? On aimerait particulièrement savoir si les coupables de la profanation de l’église orthodoxe ont été découverts et inculpés ?
– En Turquie, tout acte d’agression, de profanation contre un sanctuaire est réprouvé par la loi, indépendamment de l’appartenance religieuse. En ce qui concerne ce cas concret, je ne dispose pas actuellement d’informations, je ne sais pas si les coupables ont été trouvés, mais je peux vous assurer qu’aucun acte d’agression, qu’aucune profanation ne peut rester impuni en Turquie.
Je soulignerais particulièrement que semblable acte d’agression est naturellement inadmissible. En Turquie ces genre de chose est réprouvé, mais des actes de ce type ne sont pas habituels, ils ne sont pas répandus dans notre pays.
– Prévoyez-vous d’élargir la collaboration de la Direction des affaires religieuses avec l’Église orthodoxe russe, et en quoi peut-elle constituer ?
– Comme on sait, un rapprochement et une coopération entre la Direction des affaires religieuses et l’Église orthodoxe russe ont commencé en 2011. Nous avons pris la décision de créer un groupe de travail commun. A cet effet, les respectables métropolite Hilarion et archiprêtre Vsevolod Tchapline se sont rendus en Turquie, un certain rapprochement a eu lieu. Une deuxième réunion du groupe de travail vient d’avoir lieu. Nous avons parlé notamment de la coopération entre les communautés académiques, examiné la possibilité d’un échange de professeurs et d’étudiants. Nous sommes aussi allés à Serguiev-Possad, avons visité la laure de la Trinité-Saint-Serge, l’Académie de théologie et le séminaire de Moscou. Nos relations se développent positivement dans l’ensemble.
– Que pensez-vous du dialogue interreligieux tel qu’il se développe en Russie, en particulier entre chrétiens et musulmans ? En tant qu’observateur externe, voyez-vous des problèmes, ou, au contraire, les succès de l’expérience russe de coopération interconfessionnelle ?
– Tout le monde sait que la Russie du XX siècle avait mis en place une politique d’enracinement de l’athéisme au sein de la population. Aussi bien les musulmans que les chrétiens, les juifs et les adeptes d’autres religions ont souffert de ces agissements. Cependant, à la fin de l’époque soviétique, nous avons été témoins de la renaissance des organisations religieuses et des valeurs religieuses dans votre pays. Nous voyons que les musulmans de Russie peuvent tout à fait librement accomplir leurs rites, confesser leur religion. Des processus qui nous réjouissent sont en cours.
A cause de la longue politique athée de l’état, il existe un certain vide dans l’instruction religieuse des gens, et différents courants extrémistes et pseudo-religieux ont tenté de le remplir. Notre devoir est de donner une instruction religieuse suffisante aux citoyens, de leur donner une bonne compréhension de la religion. C’est un devoir commun à toutes les communautés religieuses, tant chrétiennes que musulmanes.
On sait que les relations entre la Russie et la Turquie sont au mieux actuellement, elles se développement intensivement dans différents domaines, sociaux, culturels, économiques, et nous sommes prêts à apporter notre contribution, à soutenir les musulmans russes suivant le format qui sera nécessaire. Nous envisageons comme un devoir d’établir avec l’Église orthodoxe russe la base spirituelle de ces relations, leur fondement spirituel.