Le 11 septembre 2013, s’est déroulé aux RIA Novosti une table ronde sur le thème « La Syrie, le destin du christianisme et la voie de l’entente interreligieuse. »

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou et le père Igor Kovalevsky, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques de Russie y participaient.

Dans son allocution, le métropolite Hilarion a dit :

« La guerre en Syrie, que l’on appelle souvent une guerre civile, n’est pas uniquement une guerre civile, puisque des mercenaires étrangers combattent sur le territoire syrien. Chacun sait que la Syrie est le théâtre d’un conflit armé auquel participent des états étrangers. Cela complique naturellement beaucoup la résolution de la question syrienne, mais je pense que, ces derniers jours plus particulièrement, où l’initiative américaine de lancer des frappes aériennes contre la Russie a été beaucoup discutée, la communauté internationale, dans la personne de nombreux leaders politiques et de pratiquement tous les leaders religieux, s’est déclarée contre cette initiative.

L’unanimité des responsables religieux sur cette question démontre qu’il n’y a pas d’autre solution possible à la question syrienne que des négociations pacifiques, une résolution politique. Les frappes aériennes contre ce pays entraîneront inévitablement d’importantes pertes humaines et ne pourront ni résoudre ni aider à résoudre les problèmes dont la guerre en Syrie est aujourd’hui le résultat.

L’Église orthodoxe russe se prononce depuis plusieurs années en faveur des populations chrétiennes du Moyen Orient. Nous avons conscience que le conflit syrien n’est pas simplement un conflit se produisant dans un pays concret. C’est la continuation de processus qui se déroulent dans plusieurs pays du Moyen Orient où les éléments radicaux déséquilibrant la paix interconfessionnelle prennent de l’importance. Là où ils arrivent au pouvoir, là où la situation passe sous leur contrôle, les minorités religieux, dont les chrétiens, deviennent des victimes.

L’Irak est un cas exemplaire. Sous le régime de Saddam Hussein, un million et demi de chrétiens y vivaient. Avec le concours d’une puissance militaire étrangère, son régime a été renversé. L’un des résultats de ces évèments a été une persécution contre les chrétiens, qui ne sont plus aujourd’hui que de 150 à 250 000 dans ce pays. Il ne reste pratiquement plus aucun chrétien en Lybie. Les chrétiens d’Égypte vivent des temps très rudes : durant la période où les « Frères musulmans » ont eu le pouvoir les incendies d’églises, les attaques de clercs et de laïcs sont devenues plus fréquentes. En conséquence de quoi, beaucoup de chrétiens ont dû quitter le pays.

La destabilisation de la situation au Moyen Orient suscite la plus profonde inquiétude et la plus grande anxiété pour le sort du christianisme dans ce pays. Le christianisme est présent en Syrie depuis le I siècle. Les chrétiens sont la population de souche de ce pays dans lequel ils vivent depuis vingt siècles. Depuis que l’Islam s’est installé en Syrie, durant de nombreux siècles les chrétiens et les musulmans ont vécu en paix jusqu’à ces derniers temps. Aujourd’hui, dans les régions de Syrie où les rebelles et les radicaux prennent le pouvoir, les chrétiens sont leur cible favorite. On détruit ou on profane les églises chrétiennes, on tue ou on enlève le clergé chrétien. Des dizaines, des centaines de milliers de chrétiens ont été forcés de quitter le pays ou de devenir des réfugiés à l’intérieur de leur propre pays. Cette catastrophe humanitaire, qui ne touche pas seulement les chrétiens, mais aussi de nombreux musulmans modérés, continue à s’étendre. Suivant différentes estimations, déjà plus de deux millions de personnes ont quitté le pays. »

Le métropolite Hilarion a ensuite évoqué l’enlèvement de deux métropolites de Syrie, le métropolite Paul (Église orthodoxe d’Antioche) et le métropolite Jean Ibrahim (Église orthodoxe syro-jacobite), précisant que les Églises faisaient leur possible, mais sans succès, pour obtenir des renseignements sur les lieux où ils sont détenus.

« Le plan américain de frappes aériennes sur le territoire syrien, actuellement suspendu, suscite l’inquiétude de l’Église orthodoxe russe.

Nous sommes le 11 septembre. Nous nous souvenons bien du 11 septembre 2001, alors que le monde suivait avec horreur les attentats de New York. Le monde entier plaignait l’Amérique, le peuple américain, les autorités américaines. Aujourd’hui les dispositions ont beaucoup changé. La réthorique militariste que font entendre les États-Unis, y compris contre les états du Moyen Orient, suscite contre eux des sentiments bien différents. Aujourd’hui les plans d’attaque militaire contre la Syrie ne sont pas retirés, mais simplement suspendus.

Hier soir, le Patriarche Cyrille de Moscou a adressé une lettre au président Barack Obama. Ce n’est pas la première lettre de Sa Sainteté sur le thème syrien. Le 23 avril, il avait déjà écrit au président des États-Unis à propos des deux métropolites pris en otage. Nous n’avons toujours pas reçu de réponse à cette lettre. »

Le père Igor Kovalevsky, secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques de Russie, s’est exprimé à son tour. Il a mentionné que la nouvelle de la suspension de l’intervention militaire en Syrie ne pouvait pas être appelée une véritable solution au problème syrien, mais qu’elle donnait quelque espoir. « Nous sommes une organisation religieuse, des chrétiens, nous ne donnons pas d’appréciation politique sur tel ou tel dirigeant. Nous en appelons à la conscience de ceux auxquels est confié le bien de tous » a-t-il dit.

Le prêtre a souligné que l’Église attirait avant tout l’attention sur le volet humanitaire du problème syrien : les meurtres, les destructions, les enlèvements. Les persécutions contre les chrétiens font l’objet d’une attention particulière : cette population syrienne est aujourd’hui au bord de l’extinction. Le problème de la guerre civile est moins interreligieux que politique, a-t-il insisté. L’Église catholique-romaine appelle à l’arrêt des violences et à une résolution pacifique du conflit. La position de l’Église catholique a été rendue publique dans le récent message du Pape François au Président russe Vladimir Poutine. Au lieu d’intervenir militairement, il faut rechercher à nouveau le moyen de parvenir à une résolution pacifique par le dialogue des parties belligérantes avec le soutien entier de la communauté internationale.

Le Conseil des conférences épiscopales d’Europe et le Conseil des Églises européennes ont également publié un message commun, dans lequel ils se déclaraient contre la guerre en Syrie et appelaient à soutenir l’initiative du pape : la Journée de prière pour la paix en Syrie qui s’est déroulée le 7 septembre.

Répondant à une question des représentants des médias sur les démarches à entreprendre pour rétablir les bonnes relations de voisinage en Syrie, le métropolite Hilarion a remarqué que l’objectif premier était l’arrêt des opérations militaires. « Tant que des opérations militaires sont en cours, le processus de résolution est pratiquement paralysé » s’est dit convaincu le métropolite. « Dans ce sens, les efforts de toutes les puissances du monde doivent avoir pour objectif d’obliger les parties à s’asseoir à la table des négotiations et de les forcer à renoncer à l’emploi de la violence ».

Le père Igor Kovalevsky a soutenu l’opinion de Mgr Hilarion. Selon lui, ce conflit « n’a pas de dimension interreligieuse, il s’agit d’un conflit strictement politique, c’est une crise du pouvoir politique en Syrie ». Les leaders religieux contribueront au rétablissement de la paix sur le sol syrien, mais c’est l’élite politique du pays qui porte la responsabilité de la résolution du conflit.

Le métropolite Hilarion s’est également adressé aux leaders religieux musulmans, les invitant à ne pas contribuer à la radicalisation de l’islam au Moyen Orient et dans les autres parties de la planète. « Nous sommes convaincus que l’islam est une religion de paix, a dit le métropolite. Dans notre pays, nous possédons une expérience séculaire de coexistence pacifique entre chrétiens et musulmans. Nous sommes en contact direct avec de nombreux leaders religieux du monde islamique. Sa Sainteté le Patriarche Cyrille a rencontré le grand mufti de Syrie pendant sa visite dans ce pays. Il a rencontré à plusieurs reprises d’autres leaders religieux des pays du Moyen Orient. Nous sommes en dialogue permanent avec la communauté islamique d’Iran, avec la direction des affaires religieuses de Turquie. Nous relations avec les musulmans de nombreux pays du monde sont très solides, et nous sommes très inquiets de voir qu’au moyen de slogans islamistes on répand aujourd’hui le radicalisme et que sont entreprises des actions incompatibles avec la religion et la dignité humaine.

De son côté, le père Igor Kovalevsky a souligné que l’Église catholique avait également une grande expérience de collaboration positive avec la communauté musulmane. « Nous espérons que les leaders musulmans entendront la voix de notre Église et que le bon sens triomphera, car l’extrémisme ne mène à rien, c’est une perversion de la religion ».

Le président du DREE et le secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques de Russie ont répondu à une question sur l’aide accordée par les Églises orthodoxe et catholique aux réfugiés chrétiens de Syrie.

Le métropolite Hilarion a souligné le rôle très important de la Société impériale orthodoxe de Palestine dans l’organisation d’une aide humanitaire régulière en faveur des réfugiés qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire de la Syrie. Ce ne sont pas seulement des chrétiens, mais aussi des musulmans, et l’aide est accordée indépendamment de toute appartenance religieuse, a souligné le métropolite. « Nous devons faire tous nos efforts pour que les gens puissent rentrer chez eux, pour qu’ils puissent vivre tranquillement dans leur pays, dans le pays de leurs ancêtres » a dit le président du DREE.

Le père Igor Kovalevsky a ajouté que dans plusieurs pays d’Europe l’Église catholique romaine travaillait en permanence avec les réfugiés. Il y a quelques temps, le Pape François s’est rendu sur l’île Lampedusa et a appelé les autorités italiennes à venir en aide aux émigrés et aux réfugiés des pays du Moyen Orient.

Dans l’interview qui a suivi à la télévision de la République arabe de Syrie, le métropolite Hilarion a souligné :

« Nous estimons toute intervention militaire dans le conflit syrien inacceptable de la part des états étrangers. Chaque peuple doit choisir lui-même son sort, choisir librement son gouvernement. Toute action extérieure entraînerait des catastrophes humanitaires, de nouvelles tragédies humaines et de nouvelles pertes humaines. Nous ne pouvons donner la recette de la solution, mais nous sommes convaincus que la résolution devra être trouvée sur le plan politique, sur le plan du dialogue entre les parties belligérantes. Une intervention militaire ne fera qu’aggraver la situation. Tous ceux qui participent à ce conflit doivent faire preuve d’une certaine souplesse. Naturellement, ils devront accepter certains compromis, mais ceux-ci sont nécessaires pour arrêter le bain de sang et les souffrances qu’éprouve aujourd’hui le peuple de Syrie. Toute solution politique proposée doit être essayée, et il faut y être attentif au maximum. »