Interview du Patriarche Cyrille aux médias bulgares
– Votre Sainteté, comment caractériseriez-vous les relations entre l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe bulgare ?
– J’aimerais tout d’abord saluer les téléspectateurs bulgares qui nous regardent en ce moment et leur exprimer ma joie de la visite qui s’annonce.
Nos deux Églises sont liées par les liens de la fraternité, des liens historiques, culturels, spirituels remontant, naturellement, loin dans le passé. Il suffit de rappeler que la décision d’Alexandre II, qui résolut de commencer la lutte de libération, a en grande partie été déterminée par la position de l’Église orthodoxe russe. Nos soldats ont marché sur les Balkans pour libérer leurs frères dans la foi. L’expression « d’une même foi » était à la première place ; il s’agissait d’une manifestation de solidarité spirituelle, une manifestation de solidarité entre des gens unis dans l’orthodoxie.
A une période plus tardive, bien sûr, lorsque la Bulgarie était déjà libérée, les orthodoxes russes se sont sentis étroitement liés à leurs frères et sœurs bulgares et, comme vous le savez, ont aidé à la mesure de leurs forces à restaurer la vie religieuse, y compris sous des aspects aussi importants que le rétablissement de l’autocéphalie, l’indépendance de l’Église orthodoxe bulgare.
Si l’on remonte à des temps très anciens, nous conservons la mémoire de la contribution spirituelle et intellectuelle des orthodoxes bulgares dans la christianisation de la Russie.
L’énumération de ces épisodes historiques témoigne en soi de la singularité des relations entre nos deux Églises. Même durant la difficile période d’après-guerre, nous sommes restés ensemble, nous nous sommes soutenus les uns les autres en échangeant des délégations. Et nous continuons aujourd’hui. Nous rencontrons régulièrement les ambassadeurs de l’Église bulgare, nos représentants viennent nous rendre compte, nous échangeons des étudiants et nous réfléchissons ensemble au thème de l’unité orthodoxe et aux nombreux défis qui se posent aujourd’hui au monde orthodoxe.
L’Église orthodoxe bulgare est proche de notre cœur, de celui, je pense, de tout fidèle russe orthodoxe, à cause de tout ce qui a été dit précédemment, et à cause des liens qui nous unissent aujourd’hui étroitement.
– La Bulgarie figure parmi les premières Églises que vous visitez. C’est un grand honneur pour nous. Qu’attendez-vous de cette visite, de la visite de la Bulgarie en général et de la ville de Plovdiv en particulier ?
– Mes attentes sont des plus agréables. Je me rends en Bulgarie, un pays où vit un un peuple qui nous est proche, un pays ami. J’ai déjà parlé des liens historiques.
Je me réjouis de rencontrer le Patriarche Maxime que je connais de puis mon enfance. Sa Sainteté le Patriarche Maxime, qui venait d’être ordonné évêque, se rendait dans ce qui était alors l’Union soviétique, accompagnant le Patriarche Cyrille. Il est venu à Léningrad, aujourd’hui Pétersbourg, où je suis né. Mon père accompagnait la délégation bulgare et moi, petit garçon, je suivais mon père. Je me souviens parfaitement de la liturgie qu’avait célébrée l’évêque Maxime, alors jeune, énergique et beau. Je me souviens de lui avoir parlé : j’étais un enfant, mais nous nous étions entretenus, avions discuté. Un moment aussi personnel crée des liens très particuliers et donne à ma visite une note optimiste. Je suis très heureux de rencontrer des gens qui me sont proches, les représentants de l’épiscopat, du clergé, des théologiens. Dieu fasse que cette visite irénique de la Bulgarie œuvre au renforcement de nos liens fraternels.
– Nous avons été témoin du soutien apporté par la société orthodoxe à l’Église. Comment avez-vous pu mobiliser une telle quantité de gens au nom d’un objectif noble comme le soutien de l’Église ?
– Vous savez, nous n’avons utilisé aucune technologie, nous nous sommes simplement adressés aux gens. Il n’y a pas eu d’organisation particulière et le fait qu’autant de moscovites se soient déplacés, qu’autant de gens aient fait le voyage à Moscou est un mouvement spontané. Les gens ont pris conscience de ce qu’en aucun cas, en aucune circonstance ils ne voulaient revivre les dures années de persécution contre l’Église, la destruction des fondements moraux et spirituels de notre vie nationale. Sans ces fondements, notre peuple cessera d’exister en tant qu’entité historique. Aujourd’hui, il s’agit de sauvegarder la foi et de sauvegarder l’identité de notre peuple. Les gens le comprennent parfaitement. C’est pourquoi nous n’avons pas eu d’efforts particuliers à faire : il fallait simplement formuler clairement la nécessité de cet office d’intercession et les gens ont répondu très rapidement et avec un grand élan spirituel à cet appel.
– Votre Sainteté, du journal « Rossia segodnia » (La Russie aujourd’hui), le président du forum « Bulgarie-Russie ». Je tiens à vous affirmer que notre peuple vous attend avec une grande impatience, une grande joie et une grande espérance, c’est pourquoi j’aimerais vous poser la question suivante : il arrive qu’entre nos états, entre les hommes politiques, interviennent des pauses, parfois à cause d’une influence étrangère. Croyez-vous que nos Églises sœurs pourraient être une clé de compréhension, un point permettant de réguler ces situations, afin que le désir d’être ensemble au sein de ce monde global qui anime nos peuples se réalise ?
– Je suis tout simplement convaincu de ce qu’aucun homme politique, pour peu qu’il ait un esprit de suite et une bonne mémoire politique ne peut ignorer le fait que nos peuples partagent une même foi, que nous avons en commun certaines pages héroïques de notre histoire sur lesquelles il est impossible de tracer un trait et qu’il est impossible d’oublier. Que faut-il donc faire de ces pages ? Je suis profondément convaincu de ce qu’elles doivent être mises en valeur : cette communauté, cette ouverture l’un à l’autre, cette sympathie qui est si profonde dans les cœurs des Bulgares et des Russes, tout cela tout doit être mis en valeur pour que nous puissions réellement bâtir de nouvelles relations sur un fondement historique solide.
Je suis profondément convaincu de ce qu’il en sera ainsi, car la politique se développe suivant le principe action-réaction. Le XX siècle a connu beaucoup de pages qui n’ont pas laissé les meilleurs souvenirs, et la réaction n’a pas toujours été positive, y compris aux évènements de la seconde moitié du XX siècle. C’est pourquoi il s’est produit jusqu’à un certain point, je ne dirais pas un « refroidissement », mais un certain affaiblissement des contacts entre nos pays. Le contact n’est peut-être pas encore rétabli, à cause de cette réaction aux dernières décennies du XX siècle. Mais il ne faut pas complexer trop longtemps, ni s’en tenir trop longtemps à cette réaction, il faut aller de l’avant. Et nous pouvons aller de l’avant avec élan, nous appuyant sur tout ce dont j’ai déjà parlé, notre remarquable histoire marquée par l’héroïsme, l’héroïsme spirituel, l’affection réciproque, la sympathie.
– De la radio nationale bulgare. Au milieu du siècle précédent, l’Église orthodoxe russe a remis à l’Église orthodoxe bulgare les biens qu’elle possédait sur le territoire de la Bulgarie. Au cours de votre visite, avez-vous l’intention de soulever la question de la restitution de ces biens ? Je pose la question, car on a beaucoup écrit à ce sujet ces derniers jours dans la presse bulgare. On a dit aussi que l’un des objectifs de votre visite était de créer une Église russe autonome indépendante sur le territoire de la Bulgarie.
– Ma visite est une visite irénique, une visite de paix. Si le résultat de ma visite en Bulgarie est une division ecclésiastique, ce n’est pas plus une visite fraternelle, ni une visite irénique. Je m’étonne de ce que les gens émettent de telles idées juste avant ma venue en Bulgarie. Ce qui s’est produit en 1952, lorsque l’Église orthodoxe russe a remis à l’Église bulgare plusieurs monastères et églises, était un geste de bonne volonté, un cadeau. Ce n’était pas une transaction commerciale sur laquelle on pourrait revenir, c’était un cadeau. Est-ce que l’on reprend les cadeaux que l’on a fait, en particulier ceux que l’on offre à ses frères ? Personne en Russie n’a jamais eu l’ombre d’une idée ressemblant à ce sur quoi vous venez de m’interroger, et, je l’espère, n’en aura jamais.
En signe de la présence historique de l’Église russe sur le territoire de la Bulgarie, nous avons une église-métochion au centre de Sofia qui, tout en étant un monument d’architecture historique, joue un rôle important, car le métochion de l’Église russe à Sofia et le métochion bulgare à Moscou assurent un lien au quotidien entre nos Églises, et nous y sommes très attachés.