Le 12 décembre 2011, le palais athénien « Megaro Mousikis » a accueilli un symposium scientifico-théologique à l’occasion de la sortie en langue grecque du livre du Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie Liberté et responsabilité. L’édition a été assurée avec le soutien de la Fondation Saint-Grégoire-le-Théologien.

Participaient à l’évènement l’Archevêque d’Athènes et de toute la Grèce, Mgr Hiéronyme, différents  hiérarques et clercs de l’Église orthodoxe de Grèce, V. Tchkhikvichvili, ambassadeur de la Fédération de Russie en Grèce, les membres de la délégation de l’Église orthodoxe russe, des théologiens, des journalistes, des représentants de la société civile.

Le symposium s’est ouvert sur un discours du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou. « Ce livre est le fruit des réflexions du Primat de l’Église russe sur les problèmes essentiels de l’existence humaine. Ce livre a été écrit à l’époque où le Patriarche Cyrille était encore président du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou et était amené par ses fonctions à voyager par le monde, à rencontrer des gens très différents, à dialoguer avec des gens de cultures et d’idéologies différentes. Ce livre est l’un des fruits de ses observations » a rapporté le métropolite. La principale question posée par le futur Patriarche Cyrille est celle « du rapport entre la liberté et la responsabilité », a poursuivi Mgr Hilarion. « Aujourd’hui, nous entendons beaucoup parler des libertés et des droits de l’homme qu’il faudrait défendre de toutes nos forces. On dit beaucoup que l’homme est le maître de sa propre vie. Toutes ces affirmations ne sont pas mauvaises tant qu’elles n’entrent pas en conflit avec la notion de responsabilité de l’homme devant lui-même et devant la société. La liberté est souvent entendue dans le sens de permissivité. Le grand écrivain russe Dostoïevski écrivait déjà : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Cette sentence reflète bien l’idéologie du laïcisme contemporain suivant lequel tout homme peut définir sa propre échelle de valeurs morales. Il n’y a pas de valeurs absolues, nous disent les adeptes d’une vision séculariste du monde. Peu importe que Dieu existe ou pas. Vous pouvez croire, vous pouvez ne pas croire, c’est votre affaire personnelle, de même que vous pouvez faire du ski ou ne pas en faire, écouter de la musique classique ou lui préférer les chansons populaires.

Le croyant répond ainsi : tout homme dispose de sa liberté, mais il existe des valeurs morales absolues, des règles auxquelles chacun doit se plier. La religion n’est pas une affaire personnelle. La norme de vie doit s’identifier à la norme de foi : si nous sommes porteurs d’une vision religieuse du monde, notre vie doit correspondre à cette vision. La position des chrétiens dans le débat sur les valeurs découle de cet axiome. Les adeptes d’une vision séculariste du monde disent que l’essentiel dans la vie est d’être heureux, le bonheur consistant dans la satisfaction des besoins et des désirs. Un homme aime vivre avec une femme, un autre préfère les hommes. Un couple veut avoir des enfants, un autre n’en veut pas. Les uns pensent que l’on peut permettre aux personnes âgées de quitter cette vie de leur plein gré, lorsqu’ils ont épuisé leurs forces, d’autres rejettent cette idée.

Le croyant n’a pas le choix. Il y a des valeurs intangibles. Par exemple la valeur de la vie humaine. Si un homme et une femme se marient, cela signifie qu’ils désirent avoir des enfants. Bien plus, d’un point de vue chrétien, cela signifie qu’ils sont d’accord pour avoir autant d’enfants que le Seigneur leur enverra. Pour le chrétien, l’union conjugale est évidemment l’union d’un homme et d’une femme. Le christianisme défend la valeur, l’intégrité et l’indissolubilité du mariage. Le christianisme estime qu’on ne doit pas interrompre la vie humaine, que ce soit celle d’un bébé dans le ventre de sa mère, celle d’un vieillard ou celle d’un malade incurable.

L’issue de ce débat est décisive pour l’humanité. Si l’idéologie séculariste, essentiellement hédoniste et égoïste, emporte la victoire, l’humanité n’a plus d’avenir. L’humanité n’a d’avenir que si elle garde les valeurs traditionnelles que sont la foi en Dieu, en l’Église, l’intégrité du mariage, la valeur de la vie humaine.

Le livre que nous présentons aujourd’hui n’est pas un traité de théologie. Il parle des problèmes fondamentaux de l’époque contemporaine, d’une crise beaucoup plus profonde et beaucoup plus sérieuse que la crise financière et économique que nous traversons aujourd’hui. Il s’agit de la crise de la personnalité humaine, de l’identité humaine. Le patriarche répond aux questions du point de vue de sa profonde foi chrétienne. Certains n’en sont pas satisfaits. Certains y entendent l’écho du passé. Certains diront encore que l’homme moderne ne peut vivre suivant les normes que propose le Patriarche Cyrille. Mais le Patriarche Cyrille ne propose d’autres réponses que celles qu’a proposé l’Église orthodoxe durant des siècles. Ceux qui critiquent ce livre peuvent tout aussi bien critiquer l’Église orthodoxe, et il s’en trouve en effet pour dire que l’Église orthodoxe est obsolète, qu’elle appartient au passé, qu’elle doit être réformée. La Russie, la Biélorussie, la Moldavie, la Grèce, sont des pays de tradition orthodoxe. On y observe une intense vie religieuse (…) Qui peut dire que la foi orthodoxe ou le monachisme n’intéresse pas la jeunesse ? Venez visiter nos monastères, vous pourrez constater combien les jeunes y sont nombreux. Il y a quelques jours, la Ceinture de la Mère de Dieu a été amenée en Russie depuis le Mont Athos. Rien qu’à Moscou, près d’un million de personnes se sont déplacées pour la vénérer (…) Suivant les données de la police moscovite, il s’agit de l’évènement le plus massif de toute l’histoire contemporaine de la Russie. Personne ne pourra donc nous convaincre que nos valeurs sont dépassées, que notre vision du monde ne correspond plus à l’époque moderne. En ce sens, on peut dire que la voix du Patriarche n’est pas la voix du passé, mais celle de l’avenir. Beaucoup de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui aujourd’hui le seront demain lorsqu’ils verront les fruits de l’idéologie séculariste. »

Le métropolite Hilarion a conclu en remerciant l’archevêché d’Athènes, l’Archevêque Hiéronyme d’Athènes et de toute la Grèce et les éditions « En Plo » qui ont permis et suivi l’édition de cet ouvrage.

La parole a ensuite été donnée au métropolite Nicolas de Messogaia et Lavreotiki. Dans son discours, il a remarqué que les Églises locales devaient se concentrer sur ce qui les unissait afin de rendre le témoignage orthodoxe plus efficace. Si l’Église russe est porteuse d’une riche tradition historique, d’une longue expérience de sainteté et de confession de la foi, si elle témoigne d’une renaissance miraculeuse et peut mettre en avant la profonde piété de son peuple héroïque, l’Église de Grèce est de son côté la gardienne de la langue de l’Écriture Sainte, de l’héritage des Pères de l’Églsie d’origine grecque et des textes liturgiques authentiques. Les deux Églises sont appelées à partager ces dons entre elles. « La gloire de notre témoignage s’appuie sur notre propre humilité, sur la reconnaissance de la primauté de l’autre dans certains domaines et sur la confiance mutuelle » a conclu le métropolite Nicolas.

Le métropolite Chrysostome de Messenia est ensuite intervenu pour constater l’actualité de la sortie d’une traduction grecque du livre du Patriarche Cyrille. Selon lui, ce livre n’est rien moins que la réponse de l’Église aux défis du postmodernisme. Mgr Chrysostome a retenu trois facteurs ayant permis l’édition de l’ouvrage du Patriarche : les transformations historiques qui se sont produites en Russie ces dernières décennies, l’enracinement personnel profond de Sa Sainteté dans la tradition ecclésiale et sa riche expérience de dialogue avec le monde extérieur à l’Église.

V. Fidas, professeur émérite de l’Université d’Athènes s’est enfin exprimé. Il a remarqué que le Patriarche Cyrille, en réfléchissant à la problématique des droits de l’homme avançait la thèse d’une « responsabilité de la liberté » contre la « liberté de la responsabilité » propre à la tradition chrétienne occidentale, en particulier à l’anthropologie philosophique et théologique protestante.

Selon l’exposant, le livre du Patriarche Cyrille est un appel au dialogue constructif entre les leaders politiques et religieux. Cet ouvrage est un « bouquet de propositions fleurant bon le parfum de la tradition orthodoxe » offert au monde chrétien occidental afin « d’enrichir le dialogue sur les droits de l’homme entre civilisations, privé d’odeur et de couleur ».