Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine : L’autocéphalie doit être le fruit de l’unité de l’Église, et non la conséquence de sa division
Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine a donné une interview aux médias monténégrins, publiée par le Département d’informations de l’Église orthodoxe ukrainienne. L’interview a été diffusée à la radio « Svetigora » le 28 février 2020.
- Béatitude, pourquoi êtes-vous venu au Monténégro, quel est le but de votre visite ?
- Nous sommes venus fêter saint Syméon le Myroblite et le 800e anniversaire de la Sainte Église orthodoxe serbe ; nous sommes aussi venus soutenir votre Sainte Église dans les épreuves qu’elle traverse. L’Écriture Sainte dit : qui a été tenté lui-même… peut secourir ceux qui sont tentés (Hb 2,18).
Vous savez sans doute par quelles épreuves est récemment passée notre Église, en Ukraine ; nous comprenons donc très bien la douleur et les problèmes auxquels fait face aujourd’hui votre Sainte Église.
- Selon vous, quelles sont les causes de la crise en Ukraine ?
- Beaucoup pensent que le schisme est la cause de la crise en Ukraine. Mais ce n’est pas le cas. Il y a toujours eu des schismes dans l’Église, il y en a et il y aura toujours. Même au temps de notre Seigneur Jésus Christ, il y avait des schismes. Certains de Ses disciples se scandalisaient de Ses paroles, de Sa conduite, et s’éloignaient de Lui. Si les gens étaient choqués par le Sauveur, qui n’avait pas péché, qui ne pouvait être cause de scandale, d’autant plus seront-ils choqués par nos paroles et notre conduite, car nous sommes des hommes, avec leurs faiblesses ; malgré notre rang ecclésiastique, nous avons des défauts.
Les schismes nous forcent à reviser encore et encore notre vie personnelle, à corriger nos erreurs, à nous débarasser de nos défauts par la pénitence. La crise en Ukraine est causée par la légitimation de l’illégalité, c’est-à-dire par l’intervention de l’Église de Constantinople dans les affaires internes de l’Église orthodoxe ukrainienne, en conséquence de laquelle les sanctions qui avaient été imposées aux schismatiques ont été levées anticanoniquement, Constantinople entrant en communion avec eux.
- Quelles sont les conséquences des actes de Constantinople pour l’Ukraine ?
- Les conséquences sont très regrettables. Des églises ont été usurpées, beaucoup de communautés célèbrent dans des maisons villageoises ou dans d’autres bâtiments, qui sont, dans les faits, des catacombes modernes. Les villages sont divisés, les gens se disputent, la discorde est entrée dans les familles, des parents, des voisins, des gens de connaissances ont cessé de se voir. Le schisme a divisé les gens et la société.
Quant au schisme lui-même, il n’y a pas été mis fin, il existe désormais un schisme dans le schisme. Philarète Denissenko a quitté « l’église orthodoxe d’Ukraine », et, pour la seconde fois, il a créé une hiérarchie parallèle qui compte dix « hiérarques ». Par ailleurs, il existe désormais deux autres groupes religieux illégaux : un exarchat du Patriarcat de Constantinople et une stavropégie. Ainsi, au lieu de deux groupes illégaux, on en compte aujourd’hui quatre en Ukraine. Ce phénomène ne fait que confirmer ces vérités : l’iniquité engendre l’iniquité, et seul le bien peut vaincre le mal.
- En quoi la situation au Monténégro rappelle-t-elle la situation en l’Ukraine ?
- Dans les deux pays, des hommes politiques interviennent dans les affaires de l’Église, veulent diriger l’Église et l’utiliser à leurs fins.
- Quelle solution voyez-vous au problème ukrainien ?
- En premier lieu, il faut résoudre la question de Constantinople, qui est responsable de la situation en Ukraine, plus précisément il s’agit du rôle et de la place du Patriarcat de Constantinople dans l’Orthodoxie mondiale.
Pour répondre à cette question, je me permettrais une petite digression. Je me rappelle d’une conversation que j’avais eue avec le célèbre archimandrite Gabriel (Bunge). L’archimandrite mégaloschème Gabriel, c’est un ancien prêtre catholique, devenu orthodoxe en connaissance de cause, qui a reçu le sacerdoce orthodoxe et mène une vie ascétique en Suisse. Nous parlions un jour de la grâce du Saint Esprit, et il m’a dit que les orthodoxes avaient le charisme de la grâce du Saint Esprit, tandis que les catholiques ne l’avaient pas. Chez les catholiques, ce charisme est annihilé par la règlementation de toutes les sphères de la vie spirituelle. Le père Gabriel a constaté que la seule voie pour retrouver le charisme de la grâce du Saint Esprit, ce n’est pas le dialogue avec les orthodoxes, ce ne sont pas des intérêts humanitaires d’ordre général, c’est le retour au point de départ, à la Sainte Église orthodoxe une, dont ils se sont écartés jadis et qui seule a le charisme de la grâce du Saint Esprit, c’est la correction des fautes commises autrefois, le début d’une vie nouvelle.
Je dirais que cela répond d’une certaine façon à la question de la normalisation de la situation religieuse en Ukraine. Il y a eu une faute, commise par Constantinople, qui a tenté de régler le problème du schisme en Ukraine. Pour liquider le schisme qui en a résulté, il faut revenir au point de départ, là où l’on en était lorsque la faute a été commise, et réparer la faute ; les choses rentreront alors dans l’ordre. C’est la seule façon de mettre fin à la crise en Ukraine.
- Que pensez-vous du fameux slogan « Une seule église dans un seul état souverrain » ?
- Sur ce point, notre position consiste à dire que dans un pays qui se considère comme orthodoxe, il doit y avoir une seule Église orthodoxe canonique, pas plus, à l’exception des pays de la diaspora, tant qu’une solution n’aura pas été trouvée au niveau panorthodoxe. Ainsi, ce qu’on appelle le « scénario estonien », où deux hiérarchies coexistent, n’est pas une solution pour l’Ukraine. Nous y sommes catégoriquement opposés, car si l’Orthodoxie mondiale emprunte cette voie, cela conduira non seulement à la création de hiérarchies parallèles un peu partout, mais, finalement, à des dyptiques parallèles et donc à un nouveau schisme.
La création, la légalisation de la nouvelle structure dénommée « église orthodoxe d’Ukraine » sur notre territoire n’est pas seulement une faute, c’est un crime ecclésial et canonique. S’il existe dans un pays une Église orhtodoxe, on ne peut pas créer une structure de la même Église en parallèle. Cela ne peut porter de bons fruits, cela ne fait que semer la division, la haine entre les gens et, par conséquent, la chute spirituelle.
- L’autocéphalie est-elle devenue, comme cela avait été annoncé, garante de l’unité ecclésiale et spirituelle ?
- L’unité spirituelle et l’autocéphalie sont des notions différentes, elles ne sont pas identiques. Les idéologues du « tomos » ukrainien disaient qu’on parviendrait à l’unité grâce à l’autocéphalie. Nous avions prévenu qu’il n’en serait rien, et il n’en a rien été. Il est clair, maintenant, qu’il est impossible de parvenir à l’unité grâce à l’autocéphalie.
La position de notre Église est qu’il faut d’abord rétablir l’unité, et ensuite, si cela est nécessaire, si cela est utile au développement spirituel de l’Église, poser la question de l’autocéphalie, et pas le contraire. La voie inverse a déjà prouvé son inefficacité. C’est pourquoi l’autocéphalie doit être le fruit de l’unité de l’Église, et non la conséquence de sa division. Même dans les textes du Concile de Crète il est dit que le principe d’autocéphalie ne doit pas nuire à l’unité de l’Église.
- Quelle autocéphalie le Patriarcat de Constantinople a-t-il promis à l’Ukraine ?
- Ce que le Patriarcat de Constantinople et l’ex-président ukrainien P. Porochenko ont mis en place est une autocéphalie politique typique.
Vous savez qu’en 1991, j’ai rappelé ma signature sous la demande d’autocéphalie que Philarète avait forcé l’épiscopat de l’Église orthodoxe ukrainienne de signer. Précisément parce que cette demande était formulée comme un ultimatum, comme une exigence politique, et non ecclésiastique. Il ne doit pas en être ainsi, dans l’Église. Dans l’Église, on doit tout résoudre par la charité ! L’initiative ne doit pas appartenir aux politiciens, mais à l’Église elle-même.
- En reconnaissant « l’église orthodoxe d’Ukraine », Constantinople a aussi reconnu les ordinations de son « clergé ». Ces ordinations étaient-elles canoniques ?
- La véritable unité spirituelle de l’Église est une unité avec le Christ et en Christ. Elle s’obtient d’une seule façon : en sauvegardant la pureté de la Sainte foi orthodoxe et en observant les principes moraux contenus dans l’Écriture Sainte. Cette unité-là est salutaire pour tous, elle fait descendre sur nous la bénédiction divine, non seulement en cette vie, mais dans l’éternité, où la nature humaine, en la Personne du Christ, se tient à la droite du Père. En d’autres termes, nous devons vivre en orthodoxes, et témoigner par notre vie de la beauté de notre foi. Alors, quelques-uns de ceux qui s’étaient laissé scandaliser et nous avaient quittés verront la beauté de la vraie foi orthodoxe et reviendront à la communion de l’Église, car les portes de l’Église et nos cœurs sont toujours ouverts, nous nous réjouissons sincèrement lorsque les égarés retrouvent la voie du Christ.
Les ordinations ne sont valides que lorsqu’elles sont célébrées par des hiérarques canoniques, dans le respect des normes canoniques qui définissent qui et comment peut être trouvé digne du grand honneur d’être serviteur du culte. En ordonnant ceux qui ne peuvent être prêtres suivant les canons ecclésiastiques, en accueillant les schismatiques sans pénitence, en les faisant entrer au saint des saints sans s’être assuré qu’ils en été dignes, on ne fait que stimuler les schismes et il faudra répondre devant Dieu d’avoir été objet de scandales pour les hommes et d’avoir porté tort à l’unité de l’Église.
- Certains médias, au Monténégro, répandent des informations inexactes sur la situation en Ukraine. C’est pourquoi parlez-nous du nombre de fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne, dont vous êtes le chef, dites-nous combien y a-t-il de diocèses et d’évêques sur le territoire de l’Ukraine.
- Merci de votre question. Vous savez, suivant mes observations personnelles, le schisme en Ukraine ne nous a pas fait perdre de fidèles, au contraire, nous en avons acquis de nouveaux.
Lorsqu’on s’est mis à faire pression sur notre Église, à faire passer sous différents prétextes les idées de « tomos », dont on faisait la propagande et la publicité, des gens que je n’avais jamais vus auparavant ont commencé à fréquenter l’Église…
- Comme ici, au Monténégro…
- … ils disent : « Nous avons vu qu’on vous pressent de tous les côtés, et nous avons compris que Dieu était avec vous, nous sommes venus à vous. » Une fois, une femme est venue me voir, c’était pendant l’onction des fidèles, à l’église, une femmes visiblement pas très pratiquante, en pantalon, sans foulard, maquillée. Elle s’est approchée et elle m’a dit : « Je ne te baiserai pas la main ». Je lui ai répondu que ce n’était pas la peine, que je ne l’exigeais pas. « Par contre, voilà ce que je veux dire, a-t-elle continué : garde pure la Sainte Église orthodoxe ! On est avec toi ! » Je ne pense pas que ce soit la seule femme qui pense ainsi. Nous n’avons donc pas perdu nos fidèles.
Certes, cela nous fait de la peine que des gens se laissent entraîner, croient les slogans, les promesses qui sont faites. Cela nous fait de la peine, parce le Christ ne veut pas que nous soyons des politiques, le Christ veut que nous nous aimions les uns les autres, que nous ne nous fassions pas la guerre, que nous nous respections, que nous nous aimions tels que nous sommes. Dans leur cas, les motifs politiques sont plus importants que le reste. Ils se croient patriotes, mais je ne les considère pas comme tels. Le patriote (πατέρα veut dire « père »), c’est celui qui aime son père et sa mère, qui aime mon père et ma mère, votre père et votre mère, voilà le patriote. Celui qui s’aime plus que les autres n’est pas un patriote, c’est un égoïste, un orgueilleux qui ne fait de bien à personne, pas même à lui-même, ni à ses proches. Malheureusement, ils mettent d’autres valeurs à la première place. Ils croient bâtir l’Ukraine, moi aussi je bâtis l’Ukraine, mais je vois l’Ukraine tout à fait autrement qu’ils ne la voient. Je vois une Ukraine où demeure le Christ, où l’amour en Christ est à la première place, où nous nous aimons les uns les autres en Christ, où nous nous entraidons et où nous aimons tous les hommes. Voilà l’Ukraine que je veux voir.
En ce qui concerne la quantité de paroisses, d’évêques… Je ne suis pas prêt à dire combien « l’EOd’U » a d’évêques, une trentaine, je pense ; quant à Philarète, il vient d’ordonner dix prétendus évêques. Nous en avons 103, dont quelques-uns en retraite, et près de 100 évêques canoniques qui dirigent l’Église. Nous avons environ 12 000 paroisses et autant de prêtres, 250 monastères où résident et travaillent à peu près 4500 moines, 18 établissements d’enseignement (académies de théologie, universités, séminaires, écoles). Notre Église est vivante, la grâce divine ne nous fait pas défaut, elle nous garde, elle nous aide à surmonter les difficultés, et il doit y avoir des difficultés.
Nous ne gardons pas rancune aux politiciens qui se déclarent contre l’Église, qui disent qu’il faudrait, soi-disant, reconstruire l’Église, que l’Église doit s’ouvrir, qu’elle doit prendre une autre voie, que notre Église est archaïque, conservatrice. Nous ne gardons pas rancune à ces hommes politiques, mais nous leur disons que c’est le Christ qui a fondé l’Église, que c’est le Christ qui dirige l’Église. Le Christ, c’est Dieu, Il est parfait, et tout ce que Dieu a fait n’a pas besoin d’être réformé. Si je fais quelque chose, celui qui viendra après moi pourra dire qu’il peut mieux faire. Et il pourra faire mieux. Un autre viendra, et dira qu’il fera encore mieux, et, effectivement, il pourra faire encore mieux. Mais ce que Dieu a créé ne peut pas être perfectionné. Si nous intervenons, nous ne faisons que gâcher. C’est pourquoi nous estimons que l’Église ne doit pas céder aux faiblesse humaines, s’adapter à l’homme pécheur. C’est l’homme pécheur qui doit s’adapter à l’Église. C’est juste. C’est alors l’Église fait du bien. Si l’Église sert mes passions, ce n’est pas l’Église, c’est un institut quelconque qui porte la dénomination d’église, mais ne sert pas le salut de l’âme humaine.
- En 2011, des prêtres de la métropole du Monténégro et du Littoral sont allés en Ukraine, ils ont visité la laure des Grottes de Kiev, la Laure de Sviatogorsk, ils ont ressenti, ils ont vu la force de la foi des Ukrainiens, ils ont compris que rien ne pourrait ébranler la foi du clergé et des laïcs. Ils étaient sûrs de la fermeté du peuple ukrainien. C’était du vivant du métropolite Vladimir, qui les avait bénis. Quel rôle le métropolite Vladimir a-t-il joué dans la vie de l’Église et du peuple ukrainien ?
- Le métropolite Vladimir, de bienheureuse mémoire, fut le premier primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, qui reçut du Patriarcat de Moscou un tomos d’indépendance et d’auto-administration. Il a dû mettre en œuvre ce nouvel ordre, organiser la vie de l’Église. Beaucoup a été fait à son époque, c’était le temps de la renaissance de l’Église, on a ouvert des séminaires, créé des diocèses, beaucoup de prêtres ont été ordonnés. C’était quelqu’un de très bien, un homme charismatique, comme dit l’archimandrite Gabriel (Bunge), il avait le charisme du Saint Epsrit, il était porteur de la grâce du Saint Esprit. La beauté de sa personnalité s’est reflétée dans toute la vie de l’Église.
Ce que vous avez vu, les évêques et les fidèles que nous avons, je dois dire que je le constate aussi ; peut-être pas de la même façon que vous, puisque je le vois tous les jours, mais je vois que les épreuves, les difficultés, les tentations rendent la foi solide. Sans épreuves, l’homme s’atrophie, il s’affaiblit, il devient impuissant, les forces qu’il devrait avoir le quittent. Dans les moments d’épreuves, l’homme se mobilise, il prie, il réfléchit, il lit, il jeûne, son esprit s’aguerrit, il devient plus fort. C’est pourquoi Dieu permet les épreuves, pour que par elles nous devenions plus forts, plus beaux, plus spirituels.
- Les Ukrainiens et les Monténégrins ont beaucoup en commun, les épreuves qui frappent ces derniers temps les deux pays se ressemblent. La force, la puissance des processions en Ukraine ont montré le symbole de la foi au monde entier. Qu’y a-t-il d’important, qu’est-ce qui est l’essentiel dans cette lutte des Ukrainiens et des Monténégrins pour l’unité de l’Église ?
- Une procession est partie de Potchaïev, de l’ouest, une seconde est partie de la laure de Sviatogorsk, à l’est, et elles se sont rejointes à Kiev. Vous savez qu’il y avait eu une opposition terrible contre cette procession (la procession nationale, en 2016d.T.). Des gens venaient nous voir pour prévenir que des personnes malintentionnées se mêlaient aux processions, je ne le comprenais pas, je répondais que si besoin, ils n’auraient qu’à se plaindre et à les faire mettre en prison. C’est vrai, ne peut pas dire à l’un : toi, tu es bien, tu peux aller à la procession, et toi tu n’iras pas. Quelqu’un peut être de mauvaise vie et, après avoir marché, il peut se repentir et devenir quelqu’un de bien. C’est pour cela qu’il y a des processions, pour que les mauvais deviennent bons. Les marches, les processions, ce sont des prières communes très puissantes. La procession est le prototype de la marche de l’homme vers le Royaume des Cieux.
Il y a toujours eu des marches vers les monastères, des processions vers une église, un lieu saint, elles n’ont jamais eu pour but un casino ou un bar à bière. Nous devons avancer dans la vie vers le lieu saint qu’est le Royaume des cieux. Dans la procession, l’homme fait l’expérience d’une union particulière avec Dieu. Ce n’est pas facile de marcher en plein été, il fait chaud, il y a de la poussière, les gens sont coudes à coudes, se gènent. Mais cet effort et la prière, entrepris au nom de Dieu, font, spirituellement parlant, beaucoup de bien, ils affermissent les gens, ils les aident à se sentir plus forts, ils donnent la force de surmonter toutes les épreuves qui nous sont envoyées à cause de nos péchés.
J’ai été très impressionné par la procession que j’ai vue ici, au Monténégro, et à laquelle j’ai pris part, moi, pécheur. Je comprends que les gens n’avaient pas passé la journée en vacances, en villégiature, ils sortaient du travail et ils sont venus quand même à la procession, marcher et prier dans les rues pendant trois heures. C’est une vraie prouesse que les gens accomplissent, sans en rien attendre. Il y a ceux qui travaillent pour gagner de l’argent, pour s’assurer une position, devenir député, ministre, scientifique. Et il y a des gens qui travaillent pour Dieu simplement, se sacrifiant pour Dieu. Ce grand sacrifice m’a laissé une forte impression.
Lorsque nous nous sommes rassemblés pour la procession, j’ai vu les visages de ceux qui passaient à côté de moi, c’étaient des visages joyeux, gais, comme si c’était Pâques. Après la procession, on m’a donné la parole, et je me suis adressé aux Monténégrins. Je ne voyais déjà plus les visages, parce qu’il faisait nuit, et les gens avaient allumé leurs portables, qui faisaient des lumières, comme des cierges, mais j’ai ressenti la beauté intérieure de ces gens. Vous savez, l’homme devient beau, majestueux, noble, lorsqu’il vit avec Dieu, lorsqu’il aime Dieu et qu’il sacrifie quelque chose pour Dieu. Ce sont cette noblesse et cette majesté que j’ai ressenties.
- Beaucoup d’hommes politiques voient le contexte politique de ces marches, ils n’y voient pas Dieu, ni la foi, ils voient dans ceux qui marchent des ennemis du peuple, leurs ennemis personnels. Quel message pourriez-vous adresser à ces hommes qui ne voient pas la Providence dans ces processions ?
- On dit que chacun juge en fonction de ses propres vices. Je vous citerais cet exemple : tard dans la soirée, un homme se dépêche de rentrer chez lui après le travail. Un fornicateur le voit et se dit : « Oh, celui-là se presse pour aller commettre ses péchés ! » Un voleur le voit et pense : « Il se dépêche d’aller voler, on ne se dépêche comme ça la nuit que pour aller commettre un vol. » Un homme pieux le voit à son tour et dit : « Vous savez, il court à la prière ». Ainsi, chacun le jugeait en fonction de ses vices ou de ses vertus. Or, il n’allait ni voler, ni forniquer, ni prier, il rentrait tout simplement chez lui. Il en va de même dans la vie.
Ceux qui ont peur d’une procession et voient dans les gens qui prient des ennemis personnels sont victimes de fausses images. Ils veulent de mesurer l’amour pour Dieu à l’aune politique et sociale, mais on ne peut prendre la mesure de la piété et de l’amour de Dieu. Je pense qu’il ne faut pas faire attention à eux, qu’il faut faire ce qu’on a à faire. Au temps de Jésus, des hommes épris de pouvoir voyaient dans le Christ Sauveur un concurrent, voulant devenir roi d’Israël. Mais le Sauveur n’était pas venu sur terre pour devenir un roi terrestre, Il est roi céleste, Il est venu nous faire rois sur nous-mêmes et héritiers de la vie éternelle. Il y a toujours eu des gens qui se croient sages et dignes, mais qui veulent mesurer l’eau avec un mètre et l’air avec un seau, c’est-à-dire qui mélangent les concepts, oubliant que leurs mesures sont des mesures humaines qui ne peuvent servir à mesurer le spirituel, le céleste, le Divin. Dieu fasse qu’ils le comprennent un jour. Que le Seigneur leur donne la sagesse, parce que c’est leur problème, et non le nôtre, ils en souffrent, tandis que nous devenons plus forts.
- Dieu le veuille ! Nous sommes à la veille du Grand Carême, que rappeleriez-vous aux Monténégrins, pour qu’ils naviguent sur ce vaisseau de la foi, traversent le temps du carême et soient prêts à fêter dignement la Résurrection du Christ ?
- Le but de la vie est de parvenir à la béatitude éternelle dans les Cieux. Il y a deux ailes principales avec lesquelles l’homme peut voler vers ce but : le jeûne et la prière. Mais Dieu a fait en sorte qu’il y ait des temps où ce travail doit être encore plus intense, plus actif, lorsque nous devons donner à Dieu plus que ce que nous lui donnons tous les jours. Le Carême nous est donné pour un travail plus intensif sur nous-mêmes, pour la purification de notre chair et de notre âme ; il se termine par la joie, par la lumière de la Sainte Résurrection du Christ.
Je souhaite que tout Monténégrin et tout Ukrainien traverse courageusement cette période, que nous nous forcions à jeûner et à prier. Que chacun jeûne, à la mesure de ses forces, mais tout le monde doit jeûner : même si quelqu’un mange trois cuillerées d’habitude, et qu’il en mange deux maintenant, Dieu accueillera son jeûne. Chacun doit intensifier sa vie de prière, ajouter une prière à celles qu’il récite d’habitude. Bien entendu, pendant le carême, il faut aussi faire de bonnes œuvres, parce que c’est aussi un jeûne spirituel que de se forcer à s’abstenir de vivre selon ses intérêts propres pour consacrer ses forces au service des malades et de ceux qui sont en prison.
Le jeûne, la prière, les bonnes œuvres c’est ce qui nous rend meilleur, plus parfait. Qui jeûne et prie verra venir avec joie la fête de la radieuse Résurrection du Christ, parce que le jeûne et la prière du Grand Carême sont le chemin de croix qui nous mène du Prétoire au Golgotha, d’où nous pourrons voir la gloire du Christ ressuscité.