Le métropolite Hilarion : Les évènements en Ukraine témoignent que la structure créée par le patriarche Bartholomée n’est pas viable
Le 6 juillet 2019, dans le cadre de l’émission « l’Église et le monde », diffusée sur la chaîne « Rossia-24 » le samedi et le dimanche, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva.
E.Gratcheva: Monseigneur, Philarète Denissenko, qui se donne le titre de « patriarche de Kiev et de toute la Rus’ » a déclaré qu’il refondait le « patriarcat de Kiev » et qu’il avait été déçu par « l’Église orthodoxe d’Ukraine ». Qu’est-ce que ce schisme dans le schisme ? Que se passe-t-il actuellement en Ukraine ?
Le métropolite Hilarion : On a cherché à tromper Philarète Denissenko. Il a d’abord été trompé par Porochenko, puis par le patriarche Bartholomée, puis par celui qu’il avait avancé au poste de « primat » de cette nouvelle pseudo-structure, créée avec l’aide de Porochenko et du patriarche Bartholomée.
Le « tomos » accordé par le patriarche de Constantinople, limite si considérablement les droits de cette structure, qu’on ne peut la qualifier d’autocéphale à proprement parler. Philarète Denissenko, qui s’y connaît quand même en droit canon, dit à présent que ce n’est pas du tout une église autocéphale, bien plus qu’elle n’est pas canonique car elle n’est pas reconnue par les treize Églises orthodoxes locales. On ne serait pas attendu à entendre parler de la canonicité de cette structure par celui qui en est à l’origine…
Mécontent d’avoir été écarté de la première place, Philarète, qui a eu 90 ans il y a quelques mois, a annoncé qu’il refondait le prétendu « patriarcat de Kiev » et qu’il ne reconnaissait pas la soi-disant nouvelle structure, l’église orthodoxe d’Ukraine. Les hommes « ordonnés » en leur temps par Denissenko, et qui forment aujourd’hui l’ossature de « l’EOd’U », ne l’ont pas soutenu, seulement deux faux-évêques l’ont assuré de leur soutien, mais il ne manquera cependant pas de s’appuyer sur eux pour créer une nouvelle « église » ou, plus exactement, pour recréer ce qu’il avait fondé auparavant et qu’il avait appelé « patriarcat de Kiev ». Il a dit : nous ordonnerons des évêques, et nous aurons une authentique « église » ukrainienne nationale, et non une église moscovite ou constantinopolitaine. Voilà où nous en sommes.
Cela montre, une fois de plus, à quel point le plan du patriarche Barthomée était irréfléchi. Il a « rétabli » Philarète dans son rang épiscopal, lui donnant ainsi carte blanche pour agir comme il agit aujourd’hui. Finalement, la structure créée par le patriarche Bartholomée n’est pas pas viable, elle a déjà commencé à se scinder.
E.Gratcheva: Monseigneur, passons à l’actualité russe. Dans les régions russes, on a proposé de priver du soutien de l’état ceux qu’on appelle les « pauvres paresseux », c’est-à-dire ceux qui se considèrent comme pauvres, mais qui sont propriétaires d’une terre qu’ils pourraient vendre, ou de logements qu’ils pourraient louer. A votre avis, la société est-elle prête à revoir les critères de pauvreté, critères qui permettent de déterminer qui est pauvre et a besoin de l’aide de l’état ?
Le métropolite Hilarion : Je ne pense pas que la société soit prêt à cela, elle est prête à ce que l’état aide les pauvres. Si une famille a un bas revenu, c’est une raison suffisante pour l’aider.
Qui jugera de ce que des pauvres sont paresseux ou ne le sont pas ? Est-ce qu’on enverra des experts, des spécialistes du travail manuel ? Ce seront plutôt des fonctionnaires qui aborderont les cas particuliers de façon formaliste, comme c’est, malheureusement, souvent le cas. J’estime que l’exécution de cette proposition n’augmentera pas le budget de l’état, mais qu’elle pourrait avoir des répercussions néfastes sur le quotidien des plus pauvres. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait le moins possible de pauvres, et non pas d’en augmenter le nombre en privant les gens de l’aide de l’état.
C’est pourquoi je pense que ce genre d’initiatives est voué d’avance à l’échec.
E.Gratcheva: Monseigneur, fin juin, il y a eu 65 ans que la première station d’énergie nucléaire du monde est entrée en fonctionnement, à Obninsk. Ceux qui ignoraient la catastrophe de Tchernobyl en ont eu connaissance récemment, grâce à une série télévisée qui fait déjà partie de la liste des 250 meilleures séries de tous les temps, « Tchernobyl », réalisée par des Américains et des Britanniques. Beaucoup de critiques russes ont souligné que le film reproduisait très fidèlement le quotidien soviétique, les caractères, les personnages réels.
Pourquoi, à votre avis, ne réalisons-nous pas nous-mêmes les meilleurs films sur notre histoire ? Ne trouvez-vous pas vexant, Monseigneur, que ce ne soit pas un metteur en scène russe qui ait réalisé cette série ?
Le métropolite Hilarion : Je me souviens qu’il y a eu des films russes sur Tchernobyl. Par ailleurs, j’ai entendu et j’ai lu de nombreuses critiques à l’adresse de cette nouvelle série américaine. Les critiques émanaient, principalement, de spécialistes dans le domaine de l’énergie nucléaire, de témoins des évènements. Ils montrent du doigt, notamment, plusieurs inexactitudes dans la reproduction des évènements. Malgré tout, je pense que le fait même de la sortie de cette série témoigne d’un intérêt constant pour ce thème.
Je n’ai pas pu regarder cette série, plus exactement je n’ai vu que les 20 premières minutes du premier épisode. C’était dans un avion, mais l’avion a atterri, et ensuite je n’ai plus eu le temps. J’ai d’ailleurs rarement la possibilité de regarder des films.
Je n’ai pas pu me faire une opinion sur la qualité de ce film en 20 minutes. Mais je me souviens bien de l’évènement lui-même. Je me rappelle qu’on a longtemps passé sous silence l’explosion à la station de Tchernobyl, puis des rumeurs ont commencé à se répandre, quelques informations ont paru. Ensuite, il y a même eu un film de tourné, je m’en rappelle, il était vraiment terrible et montrait toute l’ampleur de la tragédie.
Bien que cette tragédie ait eu lieu il y a 30 ans, ses conséquences se font toujours sentir. Pendant l’une de ses visites en Ukraine, le patriarche Cyrille s’est rendu sur les lieux de la catastrophe de Tchernobyl, et nous avons vu la ville-fantôme de Pripiat. Il y reste des immeubles aux fenêtres béantes, des pièces vides où plus personne n’habite depuis trente ans. En Biélorussie, il y a toute une zone interdite, les gens ont été déplacés pour ne pas souffrir des radiations.
La catastrophe de Tchernobyl est une grande tragédie, causée, visiblement, par une erreur humaine. Il y a cinq ans, le général Nikolaï Tarakanov, l’un des liquidateurs de l’accident de Tchernobyl, avait été l’invité de mon émission. Il avait raconté ce qui s’était passé, et parlé des causes de la tragédie. Il avait dit notamment que des expériences étaient effectuées dans cette station par des gens qui n’en avaient pas le droit, n’avaient pas reçu la licence nécessaire. A force de jouer avec le feu, ils ont causé cette explosion. Je me souviens bien de cette émission, du récit de cet homme, et je pense que ce n’est pas pour rien que la catastrophe de Tchernobyl continue à susciter tant d’intérêt trente ans après.
J’aimerais attirer l’attention sur un autre fait. Lorsque cette série est sortie, beaucoup de gens l’ont regardée, mais aussi beaucoup se sont rués vers les librairies et les tous les livres sur l’accident de Tchernobyl ont littéralement disparu des rayonnages en quelques jours. Cela me paraît très important : il y a ceux qui se contenteront de regarder la série, et ceux qui voudront aller plus loin et lire les témoignages de ceux qui ont vécu ces évènements, ou des ouvrages sérieux consacrés à cette terrible tragédie.
E.Gratcheva: Une nouvelle qui nous arrive du Vatican. Le pape François, pour la première fois de l’histoire, a nommé des femmes consultantes du Secrétariat permanent du Synode. Deux d’entre elles sont des moniales, elles travaillent déjà dans les structures vaticanes, mais une autre est laïque, maître de conférences à l’université de Rome. Combien de femmes travaillent dans l’appareil de direction de l’Église orthodoxe russe ? Pour autant que je sache, il n’y en a pas… Si c’est le cas, pourquoi ne sont-elles pas représentées ?
Le métropolite Hilarion : Il est faux de dire qu’il n’y a pas de femmes dans le système de direction de l’Église orthodoxe russe. Beaucoup de femmes occupent des postes à haute responsabilité dans l’Église. Mère Xénia, par exemple, qui est higoumène d’un monastère moscovite en même temps que principal consultant juridique de l’Église orthodoxe russe. Elle assiste à toutes les réunions du Haut conseil ecclésiastique, et lorsque des questions juridiques se posent, c’est à elle que nous nous adressons.
Il y a aussi l’higoumène Théophanie, qui est la supérieure d’un autre grand monastère moscovite, où reposent les reliques de sainte Matrone de Moscou devant lesquels viennent prier des foules de pèlerins. Elle cumule cette fonction avec celle de directrice de la principale hôtellerie, l’hôtellerie Saint-Daniel. Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples. L’higoumène Sophie, par exemple, supérieure du monastère Novodiévitchi de Saint-Pétersbourg.
Il y a aussi des femmes qui, tout en étant orthodoxes et membres de l’Église, jouent un rôle important dans la vie de l’état et de la société. Je pense à Anna Kouznetsova, femme d’un prêtre, mère de famille nombreuse, qui est depuis quelques années chargée des droits des enfants auprès du président.
Un certain nombre de moniales travaillent dans l’appareil central du Patriarcat de Moscou. Je ne connais pas leur nombre exacte, mais elles sont assez nombreuses pour contrôler toute la production documentaire et tout le travail de bureau. Je peux dire que si je rédige un rapport au patriarche, ce rapport peut m’être renvoyé par une moniale parce que j’y ai oublié une faute. Je corrige la faute et je renvoie mon rapport une seconde fois.
Ainsi, si l’on parle du système de direction de l’Église orthodoxe russe, on constate que les femmes y jouent un rôle considérable. La femme peut être higoumène d’un monastère, et, dans ce cas, non seulement les moniales lui sont soumises, mais aussi les prêtres qui célèbrent dans ce monastère. La femme peut être aussi chef de chœur, et la majorité de nos chorales d’église sont dirigées non par des hommes, mais par des femmes. La femme peut enseigner dans un établissement religieux, elle peut être docteur en théologie. Dans l’Église, presque toutes les possibilités s’offrent à la femme, sauf le ministère sacerdotal et épiscopal. Jésus Christ, en effet, n’a choisi que des hommes pour être apôtres, et depuis les apôtres, par l’ordination, les évêques se sont succédés jusqu’à nos jours. Les femmes n’ont jamais participé à ce système.
Nous disons toujours que le ministère des évêques et des prêtres est un ministère de paternité. Dans la famille, il y a le père, la mère et les enfants, et le fait que le père soit un homme n’est pas discriminatoire pour la femme, car seule la femme peut être mère. Certes, des modèles différents existent aujourd’hui dans la société libérale occidentale : il y a de prétendues familles homosexuelles, à certains endroits on refuse désormais de mentionner le père et la mère pour parler de parent 1 et de parent 2, etc. Mais vous et moi, je suppose, ne pouvons l’accepter. Dans l’Église, il existe un ministère de paternité spirituelle, mais il existe aussi un ministère de maternité spirituelle, qui s’exprime, notamment, par le fait que seule une femme peut devenir higoumène d’un monastère de femmes.
E.Gratcheva: Monseigneur, vous avez expliqué qui peut travailler dans les structures de direction de l’Église orthodoxe russe. J’en conclus que ce sont soit des moniales, soit des femmes de prêtres, ou, au moins, des femmes qui ont un doctorat de théologie. Si j’avais, admettons, fait des études dans un établissement laïc mais connaissais bien les langues étrangères, à quel poste pourrais-je postuler ? Existe-t-il des structures adaptées dans notre Église et à l’étranger ?
Le métropolite Hilarion : Il y a le Département des relations ecclésiastiques extérieures, où la connaissance des langues étrangères est très prisée. Notre bureau de traduction se compose presque exclusivement de femmes. Elles traduisent des documents, accompagnent nos collaborateurs dans leurs déplacements, notamment ceux qui ne connaissent pas les langues étrangères. Si vous n’avez pas fait d’études à l’Institut ecclésiastique des Hautes-Études, vous ne pourrez évidemment pas enseigner la théologie, mais rien ne vous empêche d’y suivre une formation. Si vous avez fait des études de musique, vous pouvez devenir chef de chœur. Si vous avez suivi une formation artistique, vous pouvez devenir iconographe et peindre des fresques dans les églises, des iconostases…
Il y a, en fait, de multiples possibilités. Aucune femme active ne reste inutile et inoccupée.
E.Gratcheva: Les femmes peuvent aussi s’engager dans des projets sociaux, dans des programmes organisés par l’Église. Un chiffre a paru, récemment : 224 paroisses du Patriarcat de Moscou élaborent en ce moment de nouvelles initiatives sociales ; c’est beaucoup. De quels projets s’agit-il ?
Le métropolite Hilarion : Tout d’abord, 224, c’est le nombre de paroisses qui élaborent de nouveaux projets, et donc ce chiffre ne tient pas compte des paroisses qui avaient déjà des projets en cours, et elles sont des milliers. Beaucoup de communautés paroissiales (je ne dirais pas toutes) s’occupent d’action caritative sous différentes formes. Certaines paroisses ont organisé des refuges pour les mères solitaires, pour les enfants. Il y a des paroisses dont les membres visitent les internats psychiatriques ou d’autres établissements. Il y celles qui créent des groupes de travail avec les toxicomanes et les dépendants à l’alcool. Il y a encore celles qui s’occupent des sans-abris.
Dans l’Église orthodoxe russe, il existe tout un Département d’action caritative, qui s’occupe du ministère social. Il a déjà à son actif quatre mille cinq cent initiatives différentes, basées dans des paroisses concrètes.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Que l’Église s’occupe non seulement du développement spirituel des gens, mais aussi de leur quotidien, de leur bien-être, qu’elle s’occupe des pauvres.
Nous ne nous contentons pas, par exemple, de demander l’interdiction de l’avortement, nous aidons les femmes enceintes en situation de précarité, qu’on incite souvent à avorter. Il arriver qu’une future mère s’adresse au prêtre, qu’elle lui dise : « Je suis forcée d’avorter, parce que je ne pourrai pas entretenir mon enfant ». Le prêtre lui répond : « Fais naître ton enfant, nous nous occuperons de son entretien ».
E.Gratcheva: Merci, Monseigneur, de cet échange.
Le métropolite Hilarion : Merci , Ekaterina.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site du programme « l’Église et le monde ».
Question : Que pense l’Église orthodoxe de l’ְœuvre de Berdiaev ? Était-il orthodoxe ?
Le métropolite Hilarion : Le philosophe religieux Nicolas Berdiaev était profondément religieux, il était orthodoxe, du moins le fut-il durant les dernières années de sa vie. J’ai visité sa maison à Clamart, dans la banlieue parisienne. Il y avait installé une chapelle où il priait. Lorsqu’un prêtre était de passage, il venait y célébrer.
Quant à l’œuvre de Berdiaev, elle est profondément pénétrée d’idées chrétiennes. Berdiaev n’était pas toujours d’accord avec l’interprétation que donne l’Église de certains dogmes et de certaines vérités morales. Mais l’esprit de sa pensée est profondément chrétien : il a développé de nomrbeux thèmes philosophiques importants en partant de positions chrétiennes.
Il a, notamment, analysé l’œuvre de Fiodor Dostoïevski, et a écrit un brillant ouvrage intitulé « L’esprit de Dostoïevski », qui met l’accent sur l’aspect religieux de l’œuvre du grand écrivain russe, sur les racines chrétiennes de sa pensée. Berdiaev a réfléchi sur de nombreux sujets, par l’exemple sur la liberté de la volonté, sur le rapport entre la liberté et la responsabilité de ses actes. Berdiaev a un excellent livre, les « Sources et le sens du communisme russe », où il montre que l’idéologie communiste n’a pas remplacé le capitalisme, mais la religion, et que le communisme est essentiellement une antireligion. Il a d’autres thèmes philosophiques intéressants.
J’aimerais terminer cette émission en citant l’apôtre Paul, que Berdiaev aimait à citer : « Frères, vous êtes appelés à la liberté » (Ga 5,13).
Que le Seigneur vous garde !