A Kiev, ceux qui se sont battus pour avoir le tomos se révoltent maintenant contre lui
Philarète Denissenko a déclaré qu’il refondait le soi-disant « patriarcat de Kiev ». Il a retiré ses fidèles de l’église orthodoxe d’Ukraine et s’est révolté contre le tomos accordé par Constantinople. Ses fidèles viennent de découvrir qu’à la place de l’indépendance, le tomos ne leur apporte qu’une subordination humiliante à Constantinople. Dans une interview à la « Rossiïskaïa Gazeta », l’archiprêtre Nikolaï Daniliévitch, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’EOU, explique comment voient la situation les fidèles de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique.
- Que signifie la révolte de Philarète, la réunion d’un « concile » , la refondation du « patriarcat de Kiev »?
- Ce qui se passe actuellement au sein de l’EOd’U, c’est un schisme dans le schisme. Nous voyons les gens se diviser, car la grâce de Dieu est absente du schisme.
D’un autre côté, beaucoup des choses qui se sont dites pendant cet étrange « concile » sont vraies. Nous avions dit la même chose au début de cette histoire de tomos, son texte était déjà connu dès les premières étapes de ce processus. Nous avions dit d’emblée que ce ne serait pas une autocéphalie, mais une tromperie, qu’ils dépendraient de Constantinople. Ainsi, dans une certaine mesure, Philarète a raison.
Quant à ceux qui restent dans l’EOd’U, et ne la quittent pas, comme le fait Philarète, par exemple, ils préfèrent visiblement un semblant de canonicité à l’autocéphalie. Ils sacrifient l’autocéphalie, afin de se réhabiliter au moins un peu aux yeux du monde orthodoxe, pour lequel ils sont des schismatiques.
Cette histoire de tomos n’a causé que des problèmes dans la famille des Églises orthodoxes locales, dans l’Orthodoxie mondiale. De gros problèmes. Et on n’en voit pas encore la fin.
Tout le monde comprend que le tomos a mené à l’impasse et qu’il faut faire quelque chose. Mais le patriarche Bartholomée n’a pas encore la volonté de résoudre ce problème. Il doit se passer un peu de temps.
- Selon vous, qu’adviendra-t-il de l’EOd’U ?
- C’est difficile à dire, je ne suis pas prophète. Il m’est plus facile de décrire ce qui se passe dans l’Église orthodoxe ukrainienne canonique : elle est devenue plus forte, encore plus unie. Les gens ont un sentiment de parenté les uns envers les autres. Beaucoup de paroissiens, voire même des non pratiquants ou des gens qui ne font que passer de temps à autre à l’église se sont mis à vivre comme s’ils faisaient partie d’une grande famille. D’assemblées d’individus disparates qui viennent, prient et s’en vont, nos paroisses se transforment en familles spirituelles. Non seulement en Ukraine occidentale, où l’on nous arrache nos églises, mais dans d’autres villes et villages du pays.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la société ukrainienne est divisée. Ceux qui viennent à nous, à notre Église, numériquement la plus importante, ce sont ceux qui ont besoin de la foi, de la prière, mais pas de la politique. Ceux qui rejoignent l’EOd’U sont des gens pour lesquels l’identité nationale est plus importante que l’identité religieuse. Cette sérieuse division existe effectivement.
- Est-il vrai que l’Église orthodoxe ukrainienne est moins harcelée?
- Oui, les pressions n’ont plus la même ampleur. Cependant, dans certains villages, on enregistre toujours des tentatives d’usurpations de nos églises. Nous sommes dans une période de transition, un président est sorti, un autre a été élu, mais il ne fait que prendre les affaires en main et ce sont toujours les fonctionnaires nommés par l’ancien président qui sont au pouvoir au niveau local. Il y a une tendance réelle à la diminution du nombre des saisies d’églises, mais il est trop tôt pour se réjouir et il n’y a pas encore de raison d’être optimiste. On verra quelle sera la position du président Zelenski. Lors de son inauguration, il a lancé un message optimiste. Il a déclaré occuper une position centriste, rejeter les extrêmes, il s’est dit pour l’unité de l’Ukraine, sans prendre parti pour l’ouest ou pour l’est. A mon avis, c’est la seule ligne convenable, celle qui est capable d’unifier et de consolider la nation. Nous comprenons tous que l’Ukraine est un pays de diversités, qu’il existe de sérieuses distinctions régionales. C’est pourquoi on ne peut mettre l’accent ni sur l’idéologie galicienne, ni sur l’idéologie de l’est du pays.
- La position des Églises orthodoxes locales est-elle ferme ? Même l’Église grecque ne s’est pas encore décidée à reconnaître la nouvelle structure non canonique en Ukraine…
- Aucune Église locale n’a reconnu l’EOd’U, et, il semble qu’elles ne la reconnaîtront pas. Il y a quelques doutes quant à la conduite de l’Église orthodoxe grecque, dont la moitié des hiérarques dépend du Patriarcat de Constantinople. C’est pourquoi, théoriquement, Constantinople pourrait l’amener dans son camp. Mais, à l’intérieur de l’Église grecque, on est plutôt sceptique quant à la reconnaissance de l’EOd’U. D’un côté ils ne veulent pas se prononcer contre le patriarche Bartholomée, de l’autre ils ne partagent pas sa position. Mais ils ne veulent pas se prononcer en public, parce qu’ils estiment que c’est porter un « coup à l’hellénisme », c’est-à-dire aux intérêts de la nation grecque et de l’Orthodoxie grecque. Nous essayons de faire comprendre que ce n’est pas le moment de défendre le point de vue, mettons, de la Russie et des pays slaves, ou des Églises grecques et de Constantinople, qu’il est beaucoup plus important de répondre à la question : sommes-nous ou non fidèles à l’ordre canonique de l’Église ? Ce n’est pas une question de fidélité à l’Orthodoxie russe ou grecque, mais de fidélité à l’Orthodoxie en général. Si nous sacrifions l’ordre canonique de l’Église au profit de la solidarité grecque, nous sacrifions l’Orthodoxie dans son ensemble.
Il faut faire passer cette question du plan politique, éthique, d’appartenance nationale – monde grec ou monde russe ou slave – au plan religieux, c’est-à-dire sur le plan de la fidélité à l’Église et à ses principes. J’espère vraiment que la composante religieuse prendra le dessus sur la composante ethnique, culturelle, etc.
- L’Ukraine orthodoxe est la première à souffrir de cette obstination ethnique ?
- J’aimerais que les Grecs orthodoxes comprennent qu’à cause de l’opposition entre Constantinople et Moscou, c’est l’Ukraine qui souffre. Parce que ce sont nos églises qu’on nous prend, ce sont nos gens qui sont chassés de leurs paroisses, c’est chez nous qu’on prend des lois discriminatoires. C’est l’Église orthodoxe ukrainienne qui souffre.
Nous sommes l’Église dans le plein sens de ce terme. L’EOd’U n’est pas une Église à part entière. C’est pourquoi c’est précisémnet l’Ukraine orthodoxe qui souffre le plus et qui est la victime de cette entreprise.