Le 21 mars 2019, Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine, primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, a pris part à la rencontre du président de l’Ukraine, Petro Porochenko, avec les membres du Conseil national ukrainien des églises et des organisations religieuses, à l’initiative du chef de l’état.

Sa Béatitude était accompagné du métropolite Antoine de Borispol et de Brovary, chancelier de l’Église orthodoxe ukrainienne, ainsi que de l’archiprêtre Nikolaï Daniliévitch, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures de l’EOU.

Dans son allocution, P. Porochenko a constaté qu’il était nécessaire de défendre le principe de liberté religieuse. « En tant que président, en tant que garant des droits constitutionnels, je ferai mon possible pour défendre la liberté religieuse en Ukraine. Nous devons travailler ensemble à la question de la liberté religieuse » a-t-il dit, ajoutant que « la violence n’est jamais une méthode pour résoudre les problèmes ».

Le métropolite Onuphre a pris la parole, remerciant le chef de l’état de son invitation. Il a ensuite poursuivi :

« En ce jours bénis du Grand Carême, l’Église nous appelle à la pénitence, à la retenue, à la prière et à la réconciliation. Le devoir de l’Église est de se préoccuper de la sphère spirituelle et morale, de mener les hommes à Dieu, de prêcher la charité, le pardon et la paix. Le devoir de l’état est de se soucier de l’aspect matériel de la vie des citoyens, de veiller au respect de la loi, etc.

Cependant, en ces jours du Grand Carême, comme depuis longtemps avant, des évènements qui nous attristent se sont produits dans notre pays dans le domaine religieux. Je parle des saisies d’églises, de l’ingérence des représentants du pouvoir dans les affaires de l’Église, et d’autres infractions à la loi.

Notamment, les chefs des conseils municipaux de villes et de villages, des chefs de services administratifs, des députés, convoquent des réunions de communautés locales et organisent des votes non sanctionnés sur le changement de juridiction des communautés religieuses. Ceci contrevient directement à la loi ukrainienne n°2683 (projet de loi 4128-d) qui affirme que seule la communauté religieuse peut le faire, aux deux tiers des voix, et non la communauté territoriale. Le résultat est que nos églises nous sont prises par la force, nos communautés sont jetées à la rue, leurs membres sont forcés de prier dans des maisons rurales. C’est le cas, notamment, de nos communautés en Volhynie, dans les villages de Nitchegovka, Krasnovolia, Teltchi, Godomitchi (district de Manevitchi) ; de Juditchine, de Klepatchakh, Berestianoïé, Koultchine (district de Loutsk) ; de Berestetchko, Peski, Zviniatché, Skobelka (district de Gorokhovo). Et je ne parle que de la Volhynie. Les cas sont nombreux dans différentes régions. La police ne fait généralement rien, elle se contente d’observer passivement.

Je tiens à souligner que ce ne sont pas nous qui nous emparons de nos propres églises, ce ne sont pas nos communautés qui font sauter les cadenas de leurs églises, comme certains médias l’ont insinué. Ce sont des individus étrangers à l’Église, qui ne venaient pas à l’église et qui n’y viennent pas.

L’un des derniers cas les plus criants est celui de Baranovka, dans la région de Jitomir, où le jour du dimanche du pardon le député Oleg Kovalski, du Parti radical, a rassemblé la communauté locale, après quoi il a envoyé 400 personnes prendre d’assaut l’église de la Nativité-de-la-Mère-de-Dieu de l’Église orthodoxe ukrainienne. Cette foule s’est précipitée dans l’église. Les paroissiens, dont 150 étaient dans l’église à ce moment, ont été frappés, poussés du haut des marches de l’église et repoussés hors de l’enceinte.

Or, aucun fonctionnaire n’a été invité à répondre de ces actes de provocation, d’incitation à la haine interreligieuse, d’usurpation. Par contre, un prêtre de notre Église, qui défend sa propre église et se prévaut de la loi (je parle de l’archiprêtre Victor Zemlianoï, de la région de Rovno), subit des pressions : une enquête a été ouverte contre lui, les articles n°161 (1e partie) et n°300 (1e partie) lui ont été incriminés. Toutes ces accusations sont artificielles. On tente également de lui appliquer une peine de détention préventive. On a appris que les pressions contre notre prêtre sont exercées sur l’ordre du chef de la direction des services de sécurité ukrainiens de la région de Rovno, V. Bedria.

Dans d’autres régions d’Ukraine, d’autres procédures pénales ont été intentées. Pour nous ce sont des procès politiques, de commande, un moyen de pression sur le clergé et les fidèles de notre Église orthodoxe ukrainienne. Nous estimons que ces poursuites sont inadmissibles dans un état démocratique, et qu’elles sont une atteinte au droit de liberté de confession.

Les médias ont affirmé mensongèrement qu’environ 450 paroisses de l’Église orthodoxe ukrainienne seraient passées à  une autre juridiction. Or, suivant nos données, seules 42 paroisses ont pris la décision de rejoindre « l’EOd’U », dont neuf d’entre elles l’ont fait sans leur prêtre. Les 55 autres soit-disant passages volontaires ont été marqués par des épisodes de cadenas brisés, de fidèles battus, et ce sont, dans les faits, des usurpations. On enregistre 137 cas où la communauté territoriale a voté le transfert à « l’EOd’U » contre la volonté des paroissiens. Dans ces cas, nos fidèles et leurs prêtres sont restés et célèbrent dans leurs églises, bien que les organes locaux aient rapporté que la communauté serait passée à l’autre juridiction.

Les menaces, les intimidations, les pressions sur les clercs de l’Église orthodoxe ukrainienne, la discrimination et les autres infractions aux droits et aux libertés de notre Église ont déjà retenu l’attention de la Direction du Haut Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, et ces faits ont été cités dans son rapport du 12 mars 2019.

Ce qui se passe actuellement dans les villages de différentes régions d’Ukraine a des répercussions négatives sur l’autorité de l’état, comme sur l’autorité du président.

C’est pourquoi je vous prierai donc, Monsieur le Président, de donner aux fonctionnaires locaux les instructions qui s’imposent pour qu’ils cessent d’initier artificiellement des changements de juridiction. Cela mettra un terme aux conflits.

Je suis certain que tout ce qui se passe aujourd’hui autour de notre Église en particulier et, plus généralement, parmi les orthodoxes, n’est pas la voie que nous devons suivre. Ce n’est pas sûrement pas la voie qui nous mènera à l’untié. Il faut reconnaître son erreur, tirer les conclusions de ses erreurs et chercher d’autre voie pour parvenir à l’unité ecclésiastique. Les saisies, les transferts de paroisse d’une juridiction à l’autre ne font que retarder de plusieurs décennies le processus de réunification. Nous avons déjà vécu quelque chose de semblable dans les années 1990. C’est pourquoi si l’on veut redresser la situation, il faut au moins commencer par ne pas l’aggraver.

Monsieur le Président, comprenez-moi bien ! Nous, c’est-à-dire, notre Église orthodoxe ukrainienne, sommes pour l’Ukraine, pour l’intégrité et l’unité de l’état. Pour le calme, pour la paix, pour la concorde, pour l’unité dans le peuple. Nous l’avons toujours défendu et déclaré. Tout ce dont j’ai parlé aujourd’hui ne fait que faire du tort à l’état. Faites ce qu’il faut pour que cela cesse. Je suis certain que cela est en votre pouvoir. »

Réagissant aux paroles du primat de l’Église orthodoxe ukrainienne, le chef de l’état a dit que ni lui, ni aucune administration régionale de l’état n’avait donner d’instruction pour initier des transferts de paroisses d’une juridiction à l’autre au niveau local. P. Porochenko a conseillé de s’adresser à la justice si des cas semblables se présentent. Il a aussi proposé à Sa Béatitude le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine une seconde rencontre, pour discuter de cette situation de crise.

Sa Béatitude le métropolite Onuphre a répondu en remettant au président la liste des églises saisies et la description d’autres cas d’infractions à la loi commises contre l’Église orthodoxe ukrainienne. Le chef de l’état a chargé ses assistants d’étudier la situation et de réagir à chaque cas concret.

Après la partie officielle de la manifestation, P. Porochenko s’est brièvement entretenu en privé avec le béatissime métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine Onuphre.