Le patriarche Irénée : « L’Athos serbe » est avec l’Église canonique d’Ukraine
Le patriarche Irénée de Serbie est venu à Moscou la semaine dernière participer, avec plusieurs autres primats des Églises orthodoxes locales, aux célébrations du 10e anniversaire de l’élection du patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie. La situation des croyants en Ukraine, où, à l’initiative des autorités civiles et avec le soutien du Patriarcat de Constantinople a été créée une nouvelle structure ecclésiale à partir de schismatiques issus de l’Église orthodoxe russe, a été au cœur des discussions des hiérarques. Le patriarche Irénée a déclaré très clairement son rejet de cette situation et son soutien à l’Église orthodoxe ukrainienne canonique. A l’issue de sa visite, il a accordé une interview exclusive à RIA-Novosti, faisant partager sa vision du problème ukrainien dans le monde orthodoxe, son opinion sur l’autorisation du remariage des prêtres au Patriarcat de Constantinople, sur la situation au Kosovo et sur la possible canonisation de son prédécesseur, le patriarche Paul.
- Sainteté, est-on parvenu à des accords préalables sur la situation en Ukraine à la suite des négociations à Moscou, auxquelles participaient des délégations de la plupart des Églises locales ? Comment agir par la suite ?
Le programme de notre séjour à Moscou était suffisamment chargé, et, en dehors de tout ce que nous avons pu entendre dans les discours publics, nous n’avons pas eu beaucoup la possibilité de discuter. Mais nous ressentons tous le poids de ce problème. Ce qui se passe en Ukraine détruit notre famille. Ce n’est pas un phénomène de l’extérieur, c’est quelque chose qui se passe à l’intérieur, dans la famille même des Églises orthodoxes.
Je pensais qu’il y aurait plus de primats, que nous nous rencontrerions à Moscou et pourrions discuter de ce qui s’est passé et de ce qui se passe en Ukraine. Malheureusement, beaucoup de primats ne sont pas venus en personne, ils ont envoyé des émissaires. Nous n’avons pu discuter largement de ce thème qu’avec le patriarche Cyrille. Mais cela reste une nécessité de notre temps et de l’avenir proche : discuter en détail du problème ukrainien. Il faut voir jusqu’où peut aller la division, et quelles en seront les conséquences inévitables. Malheureusement, ces conséquences sont évidentes, et nous sentons déjà les fruits de cette division.
- Au Mont Athos, qui fait partie de la juridiction de Constantinople, il y a un monastère serbe, le Hilandar. Savez-vous comment les moines athonites ont accueilli les dernières mesures prises par le patriarche de Constantinople en Ukraine ?
Nous n’avons pas reçu de nouvelles informations du monastère de Hilandar. Mais je suis sûr que notre communauté de l’Athos est, bien entendu, avec nous, avec son Église. Je ne pense pas qu’ils aient pu prendre une position qui diffère de la nôtre, de l’Église serbe.
- Que pensez-vous de la récente décision du Patriarcat de Constantinople, autorisant les prêtres à se remarier?
Cette décision nous a beaucoup étonnés, parce qu’elle est contraire à toutes les normes canoniques existantes. Malheureusement, elle est caractéristique de notre époque, et en dit long sur les tentations par lesquelles passe l’Église.
- Quelle est actuellement la situation au Kossovo ? Comment la société serbe et l’Église orthodoxe serbe voient-elles l’idée de la partition du Kosovo en deux entités, l’une serbe, l’autre albanaise ?
Le Kosovo est notre grande blessure. Nous l’avons défendue des Turcs et de tous ceux qui voulaient nous l’arracher pendant 500 ans. Le Kosovo, ce n’est pas simplement une notion géographique, c’est notre alma-mater, notre berceau. Tout ce qui a rapport à l’histoire, à la spiritualité, aux traditions sacrées des Serbes se trouve au Kosovo et en Métochie.
Nous estimons qu’il faut respecter la résolution du Conseil de sécurité n°1244 et assurer au peuple albanais pleine liberté et autonomie, tout ce qu’ils avaient auparavant, d’ailleurs. Mais, en même temps, il est nécessaire que le territoire du Kosovo et de la Métochie restent dans les frontières de la Serbie. C’est la position de notre Église. Et notre Synode épiscopal l’a récemment réaffirmée.
- En Serbie et ailleurs, on vénère beaucoup votre prédécesseur, le patriarche Paul. Les fidèles évoquent-ils une éventuelle canonisation?
Sa Sainteté le patriarche Paul est effectivement une personnalité exceptionnelle dans l’histoire de notre peuple et de notre Église. Il a vécu modestement toute sa vie. Tel qu’il était lorsqu’il est devenu moine, tel il est resté lorsqu’il est devenu patriarche.
C’était un primat, qui n’attendait d’aide de personne. Un homme du peuple que le peuple reconnaissait comme sien, comme un proche, ce qu’on a pu clairement observer le jour de ses funérailles. Il était extrêmement sage. Il ne parlait pas beaucoup, mais ce qu’il disait a été transformé en proverbes et en aphorismes, les Serbes le citent au quotidien, ils citent ses paroles comme des dictons de la sagesse populaire. Il a écrit quelques livres de grande importance.
Il y a toujours beaucoup de monde autour de sa tombe au monastère de Rakovitsa. Les Serbes le prient, effectivement, ils s’adressent à lui comme à un saint.
Quant à l’avenir, savoir si l’Église le canonisera officiellement ou non, on verra. Mais quelque soit la façon dont la question sera résolue, c’est un saint.