Le métropolite Hilarion de Volokolamsk : Le patriarche de Constantinople a perdu sa primauté dans l’Orthodoxie universelle
Alexis Pouchkov, auteur et animateur du programme de télévision « Post-scriptum », sur la chaîne « TVTs », qui analyse les principaux évènements en Russie et à l’étranger, avait invité dans son émission du 26 janvier 2019 le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.
- Comme chacun sait, Petro Porochenko utilise activement ses douteux succès en politique ecclésiastique comme argument dans sa campagne électorale. Il se vante d’être parvenu à obtenir l’indépendance pour les schismatiques de « l’Église orthodoxe ukrainienne ». Cependant, il s’agit d’une indépendance de convention, puisque cette « église » dépend directement du patriarche Bartholomée de Constantinople. Nous parlerons aujourd’hui des conséquences du schisme de l’Église en Ukraine, et des objectifs de ses auteurs avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Monseigneur, bonjour.
Bonjour, Alexis Constantinovitch.
- Ma première question sera la suivante : Porochenko, dans sa campagne électorale, présente la décision du patriarche de Constantinople comme sa propre grande victoire politique. Il a même voyagé par monts et par vaux en Ukraine pour montrer le tomos à tout le monde en disant : « Je vous ai donné une Église indépendante ». Qu’en est-il en réalité ? On a l’impression qu’en fait, ce n’est sûrement pas la victoire, si l’on peut dire, de Porochenko, mais celle de Bartholomée : l’Ukraine est désormais soumise à Constantinople, au lieu d’être indépendante de Constantinople. N’est-ce pas une autre forme de dépendance pour l’Ukraine, qui ne peut plus disposer d’elle-même, même dans les questions religieuses ?
Je ne pense pas que ce soit une victoire, ni pour Porochenko, ni pour le patriarche Bartholomée, car aucun d’entre eux n’a obtenu ce qu’il souhaitait au départ, et ils cherchent maintenant à sauver la face. Le patriarche Bartholomée pensait, comme on l’en avait persuadé, que s’il accordait le tomos d’autocéphalie, tous les évêques de l’Église canonique se précipiteraient dans cette structure autocéphale. Mais cela n’a pas eu lieu. Sur les 90 hiérarques que compte l’Église orthodoxe ukrainienne, seuls deux ont accepté de participer à cette aventure. Autrement dit, l’épiscopat de l’Église ukranienne était et reste pratiquement unanime dans son rejet de cette structure.
En ce qui concerne le président Porochenko, il s’agissait pour lui, naturellement, d’une entreprise d’agitation électorale. N’ayant obtenu aucun succès sur les fronts politique et économique, il avait besoin d’un succès quelconque, ou, du moins, de donner l’impression d’une réussite. Il a joué la carte de l’église autocéphale qui, dans les faits, n’est finalement pas autocéphale, parce que le tomos qu’a reçu cette structure de Constantinople implique un si haut niveau de dépendance par rapport au Patriarcat de Constantinople, qu’on ne peut pas parler d’église d’autocéphale. Il suffit de dire que chaque fois que cette église voudra canoniser quelqu’un, il lui faudra poser une requête à Constantinople, où sera prise la décision. Tout évêque, tout prêtre ou diacre qui serait mécontent de son supérieur pourra écrire au patriarche à Istanbul, et on prendra les décisions nécessaires. Ce n’est donc pas, évidemment, une autocéphalie.
Le patriarche de Constantinople a perdu sa primauté déclarée dans l’Orthodoxie universelle, nous ne pouvons plus le reconnaître comme le premier dans la famille des Églises orthodoxes, et il ne peut plus parler au nom de toute l’Orthodoxie, comme il le faisait auparavant. Le patriarche de Bartholomée ne peut plus se déclarer « le leader des 300 millions d’orthodoxes de la planète », puisque la moitié, pour le moins, des orthodoxes, ne le reconnaît pas.
- Qu’est-ce qui est à l’origine de sa décision ? Il s’est querellé avec l’Église orthodoxe russe, il a causé un schisme dans le monde orthodoxe. Il a, comme vous le dites, cessé de faire autorité pour 150 millions d’orthodoxes. On dit généralement qu’il voulait faire le jeu du monde occidental, des Américains, qui ont intérêt à ce schisme et à soutenir Porochenko. Mais qu’a-t-il obtenu dans ce jeu ? Pourquoi a-t-il agi ainsi ? La logique de son existence consiste à être le premier entre égaux, à réunir autour de lui toutes les Églises orthodoxes : elles le reconnaissent, et c’est à cela que tient son autorité. Qu’a-t-il obtenu ? Pourquoi a-t-il accepté de jouer ce jeu malhonnête ?
L’Amérique n’a pas seulement intérêt à la chute de la Russie, mais à l’affaiblissement maximal de l’Église orthodoxe russe, parce qu’on comprend bien, en Amérique, que l’Église orthodoxe russe est un puisant facteur d’unité dans l’espace post-soviétique, qui influence des millions de gens. Ils ont intérêt à affaiblir, à diviser l’Église russe. C’est pourquoi ils ont soutenu le schisme en Ukraine. Ce sont eux qui tirent les fils, dans cette aventure. Quant au patriarche de Constantinople, il dépend matériellement et politiquement des États-Unis, il ne fait, finalement, que ce qu’on lui dit de faire.
- Autrement dit, on peut considérer, dans le cas présent, qu’il est le vecteur de l’influence américaine sur cette question ?
Et pas seulement dans le cas présent ni uniquement sur cette question.
- Qu’est-ce que cela peut entraîner comme conséquences pour les orthodoxes en Ukraine ? Y a-t-il déjà eu des tentatives de saisie d’églises non contrôlées par les schismatiques ? Que va devenir la vie religieuse en Ukraine ? Quels sont les éventuels dangers et comment les éviter ?
Des dangers, il y en a beaucoup. Presque tous viennent des autorités actuelles. Les autorités ukrainiennes ont adopté plusieurs projets de loi visant à légitimer les saisies d’églises. Il y a déjà eu plusieurs dizaines d’usurpations, qui suivent un même schéma : des gens, masqués ou non, prennent l’église d’assaut, chassent les paroissiens et leur disent : « nous sommes la communauté paroissiale ». Lorsqu’il n’existe pas de listes de paroissiens, c’est très facile à faire.
Auparavant, les communautés de l’Église canonique portaient plainte contre ces actes de violence et gagnaient leurs procès. Désormais, la loi est du côté des usurpateurs. La Rada suprême a aussi adopté une loi sur le changement de dénomination de l’Église orthodoxe ukrainienne. A présent, sa dénomination doit mentionner qu’elle est en relation avec un pays-agresseur, c’est-à-dire avec la Russie.
Pourquoi ? Pour épingler l’Église ukrainienne comme un corps étranger et ennemi, comme on faisait porter l’étoile jaune à six branches aux Juifs sous le Troisième Reich. Pour les Juifs, c’était un symbole sacré, mais pour les nazis, l’étoile à six branches servait de marque, elle désignait le Juif, l’ennemi à abattre.
Et surtout, ce changement de dénomination est fait pour obliger les diocèses et les paroisses à se faire réenregistrer sous un nouveau nom. Mais le processus de réenregistrement, dans le contexte de l’Ukraine actuelle, peut être long, on peut le bureaucratiser au maximum, et, durant cette période, des pressions seront exercées sur chaque diocèse et sur chaque paroisse, afin qu’ils rejoignent la nouvelle structure.
- Quel nom veut-on faire porter à notre Église orthodoxe en Ukraine ?
Cela n’a pas été dit pour l’instant. Mais j’attire votre attention sur le fait lui-même : l’état veut imposer un nom à une structure ecclésiastique. Je ne connais pas d’autre cas où un état aurait imposé sa dénomination à une organisation religieuse au lieu qu’elle se le donne elle-même.
- Merci de cette interview, Monseigneur.