Dans une interview à l’agence italienne SIR, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a parlé de la situation provoquée par les actes anti-canoniques du Patriarcat de Constantinople, à cause desquels le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a reconnu impossible de rester plus longtemps en communion eucharistique avec lui.

  • Parlez-nous de l’atmosphère de la réunion du Saint-Synode de Minsk, des sentiments de ses membres lorsqu’ils ont pris la décision de rompre la communion eucharistique avec Constantinople.

Dans la Déclaration que le Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe a publiée le 15 octobre, il est dit : « L’accueil dans la communion de schismatiques et d’une personne frappée d’anathème par une autre Église locale avec tous les « évêques » et les « clercs » qu’elle a ordonnés, l’impiétement sur des territoires canoniques étrangers, la tentative de renier ses propres décisions historiques et ses obligations, tout cela place le Patriarcat de Constantinople hors de l’espace canonique et, à notre grand regret, fait qu’il nous est impossible de demeurer en communion eucharistique avec ses hiérarques, son clergé et ses laïcs. » La mention de notre grand regret n’est pas une simple figure de style : cette décision a été très difficile à prendre, mais, malheureusement, les derniers actes de Constantinople ne nous ont pas laissé le choix.

Nous n’avons pas fermé la porte au dialogue. Fin août, le patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie s’est rendu à Istanbul pour discuter fraternellement de la situation avec le patriarche Bartholomée. Notre Synode a appelé, et continue à appeler, à l’examen panorthodoxe des problèmes. D’autres Églises l’ont proposé aussi, d’ailleurs. Mais Constantinople, suivant la théorie qu’il suit maintenant sur le prétendu statut particulier du patriarche de Constantinople, comparable au statut du pape de Rome dans le monde catholique, a rejeté ces appels à la résolution collégiale des problèmes, et a détruit par ses actes l’unité du monde orthodoxe.

  • Est-il exact de parler de « schisme » ? Quelle est son importance pour l’avenir des rapports entre orthodoxes ?

Le Patriarcat de Constantinople s’est identifié lui-même au schisme en reconnaissant les structures schismatiques en Ukraine, après sa décision de faire avancer le projet « d’octroi de l’autocéphalie » aux croyants ukrainiens, autrement dit le projet de création d’une structure parallèle sur le territoire de l’Église canonique, qui est toujours avec son peuple dans les temps difficiles. En décidant qu’il était désormais impossible de rester en communion avec Constantinople, le Synode de l’Église orthodoxe russe n’a fait que constater ce fait, véritablement tragique.

Cette division ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur l’ensemble de l’Orthodoxie dans le monde. Comme le remarquait le patriarche Irénée de Serbie, les dernières décisions du Patriarcat de Constantinople non seulement aggravent le schisme sur le territoire canonique de l’Église orthodoxe ukrainienne, mais risquent de provoquer de nouveaux schismes dans les autres Églises locales. On a montré, en effet, aux schismatiques, comment légaliser leur statut, sans passer par la pénitence ni par le retour à l’Église dont ils se sont écartés.

Par ailleurs, les mécanismes du dialogue et de la coopération interorthodoxes, qui ont mis des années à se mettre en place, sont détruits. Puisque toutes les Églises orthodoxes locales sont égales en dignité, le Patriarcat de Constantinople, qui possède une primauté d’honneur, intervenait comme coordinateur des relations interorthodoxe. A présent que plus de la moitié de l’ensemble des croyants orthodoxes du monde ne sont pas en communion avec lui, Constantinople ne peut plus jouer ce rôle.

  • L’Ukraine est un pays de conflits. A quel point la division des églises sera-t-elle dure à vivre ? Croyez-vous que la paix soit menacée, si l’on pense aux propriétés, aux églises et aux monastères ?

Les autorités de l’état ukrainien cherchent à reformater la situation religieuse en dépit de l’avis de la majorité des croyants, et cette situation peut avoir de très graves conséquences pour la paix civile dans le pays, déjà divisé par un conflit. La foi concerne les cœurs, et ceux qui se mêlent des affaires de l’Église au nom de leurs intérêts propres veulent faire passer la division dans les cœurs et dans les âmes, cherchant à imposer à tous l’idée de la légalisation du schisme et de la création d’une nouvelle structure ecclésiastique.

Auparavant déjà, les paroisses de l’Église canonique étaient régulièrement soumises à des attaques de vandales, à des exactions, et les décisions judiciaires de leur faire rendre leurs églises n’étaient pas prises en compte. A présent, les schismatiques font ouvertement savoir leur volonté de s’emparer des plus grands sanctuaires du pays. Il y a quelques jours, le synode du « patriarcat de Kiev » schismatique a ajouté à la titulature de Philarète Denissenko le titre d’archimandrite des laures des Grottes de Kiev et de Potchaïév. Mais ces antiques monastères orthodoxes, sacrés pour des millions d’Ukrainiens orthodoxes, ne sont pas dans sa juridiction. Ils appartiennent à l’Église orthodoxe ukrainienne. C’est donc là un moyen de déclarer ses prétentions à la possession des plus grands monastères de l’Ukraine. On se demande par contre qui y installeront-ils ? Car il y a aujourd’hui plus de moines dans chacun de ces monastères de l’Église ukrainienne que n’en a Philarète dans toute l’Ukraine. Le monachisme est une ascèse, et personne n’est prêt à faire des sacrifices pour le schisme.

Le chef du gouvernement ukrainien avait déclaré qu’il n’y aurait pas de transfert de propriétés ecclésiastiques. C’est difficile à croire. Le ministère de la Culture de ce pays a d’ores et déjà entrepris l’inventaire des églises dont l’Église orthodoxe ukrainienne a l’usage, on entend des déclarations attestant de l’intention de revoir tous les documents attribuant l’usage de ces bâtiments à l’Église. Le ministre des Affaires étrangères, Pavel Klimkine, affirme que « le Patriarcat de Moscou n’a de toute façon rien à faire en Ukraine ». Par ailleurs, des projets de lois discriminatoires restent à l’examen de la Rada, ils veulent pratiquement légaliser les raids opérés contre les communautés de l’Église orthodoxe ukrainienne, ils prévoient un contrôle de la vie de l’Église et même un changement forcé de dénomination de l’Église canonique. Le président du Parlement ukrainien, Andreï Paroubi, a fait savoir ce qu’il pensait de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, disant que ce n’était « pas une Église ».

Force est de constater que Constantinople contribue à l’aggravation de la situation, en prenant la décision de légaliser les schismatiques ukrainiens. Le fait qu’il justifie ses actes iniques par un appel hypocrite à s’abstenir de violences a été qualifié récemment par le patriarche Irénée de Serbie de façon de « fermer les yeux devant les conséquences facile à prévoir de ses propres actes et de ce lavement de mains à la Pilate ».

  • Sommes-nous témoins d’un processus irréversible ? Ou bien est-il encore possible de revenir à l’unité ?

Le retour à l’unité, c’est justement ce que nous souhaitons. Les conditions sont là, il faut simplement revenir aux normes ecclésiologiques que l’Église orthodoxe a suivies durant des siècles, et ne pas attribuer au patriarche œcuménique un pouvoir suprajuridictionnel lui permettant d’annuler les décisions des Conciles œcuméniques et de s’ingérer dans les frontières d’autres Églises. On veut vraiment espérer une amélioration.

  • Quelles peuvent être les conséquences du « schisme » pour le dialogue interconfessionnel ? Que vous a dit le pape François à Rome ? Est-il inquiet de ce qui se passe ?

Certes, la rupture de la communion avec le Patriarcat de Constantinople ne peut pas ne pas influer sur le dialogue interchrétien. Je rappelle que, depuis la décision du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe du 14 septembre, les représentants du Patriarcat de Moscou ne peuvent plus participer aux dialogues avec les autres Églises chrétiennes et communautés, qui supposent une coprésidence des représentants de Constantinople. Cela concerne notamment le travail au sein de la Commission internationale mixte pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe.

A Rome, j’ai informé de cette décision le pape François et le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, également co-président de la Commission mixte. Tous deux se sont dits profondément préoccupés de cette situation. Il est clair pour tout le monde que sans la participation de l’Église orthodoxe russe, qui représente la moitié du monde orthodoxe d’un point de vue numérique, le dialogue orthodoxe-catholique perd une grande partie de son sens.

Naturellement, les relations bilatérales entre le Patriarcat de Moscou et l’Église catholique romaine et les autres confessions chrétiennes se poursuivront, et leur thématique s’élargira même peut-être.