Le 27 octobre 2018, le métropolite Hilarion de Volokolamsk a répondu aux questions de la présentatrice Ekaterina Gratcheva, dans l’émission « L’Eglise et le monde » (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision « Rossia-24 » les samedis et les dimanches.
E. Gratcheva : Bonjour ! Ici l’émission « L’Eglise et le monde ». Nous nous entretenons avec le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, sur l’actualité de l’Eglise et du monde. Monseigneur, bonjour.
Le métropolite Hilarion : Bonjour, Ekaterina. Bonjour, chers frères et sœurs !
E. Gratcheva : Il y a quelques jours, vous avez rencontré le pape François au Vatican. Le dialogue entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine est assez développé aujourd’hui. Comment expliquez-vous l’augmentation de la fréquence des contacts avec l’Église catholique romaine ? Ont-ils raison, ceux qui assurent que nous sommes plus proches des chrétiens occidentaux que de nos frères de Constantinople ?
Le métropolite Hilarion : Les rapports entre l’Église orthodoxe russe et l’Église catholique romaine ont reçu une nouvelle impulsion après la rencontre du patriarche Cyrille avec le pape François à La Havane, il y a deux ans et demi. Il faut dire que les contacts étaient réguliers avant aussi. Je ne peux pas dire que leur fréquence se soit intensifiée.
Depuis le début du pontificat du pape François, je l’ai rencontré 7 fois, une fois par an en moyenne. Généralement à l’automne, parce que les réunions du Synode de l’Église catholique romaine ont lieu à l’automne, et des observateurs de plusieurs Églises orthodoxes y sont traditionnellement invités. Cela fait des années que je m’y rends en tant qu’observateur de l’Église orthodoxe russe.
En général, je passe un ou deux jours à Rome. On me donne 10 à 12 minutes pour exprimer le point de vue de l’Église russe sur un thème concret. Je précise que nous avons organisé des échanges d’étudiants réguliers, des groupes de collaborateurs et de prêtres du Vatican viennent chez nous, et nous envoyons nos collaborateurs et des prêtres au Vatican. Cela fait trois ans que nous organisons des Universités d’été à l’Institut des Hautes-Études. En marge du Synode, je rencontre toujours le pape. Il s’agit généralement d’une audience qui dure environ une heure, et qui permet de discuter des sujets à l’ordre du jour des relations bilatérales.
E. Gratcheva : Que pense le pape François de la rupture de nos relations avec Constantinople ? En avez-vous parlé pendant l’audience ?
Le métropolite Hilarion : Bien entendu, une grande partie du temps a été consacré à la situation en Ukraine, plus précisément à la situation ecclésiastique, et j’ai exposé au pape le point de vue de l’Église orthodoxe russe sur ces évènements. Nous ne pensons pas que le pape de Rome puisse être un arbitre dans ce conflit. C’est absolument impossible. Il serait incorrect de l’impliquer dans ce problème, d’attendre de sa part des actes quelconques ou qu’il se solidarise avec l’une ou l’autre partie. L’Église orthodoxe vit selon ses propres lois et ses propres règles. Nous résoudrons ce problème par nous-mêmes, sans la participation du pape de Rome.
La rupture des relations entre l’Église orthodoxe russe et Constantinople affecte aussi les rapports avec l’Église catholique romaine, parce qu’en dehors des rapports bilatéraux entre notre Église et l’Église catholique, il y a aussi le dialogue théologique panorthodoxe-catholique. Nous sommes sortis de ce dialogue.
E. Gratcheva : Qui s’appelle dialogue panorthodoxe ?
Le métropolite Hilarion : Oui, c’est un dialogue auquel participaient presque toutes les Églises orthodoxes, à l’exception de quelques unes. Nous sommes sortis de ce dialogue, comme de tous les dialogues et de toutes les organisations présidés ou co-présidés par le patriarche de Constantinople.
E. Gratcheva : On aimerait pourtant connaître la position du pape François sur la décision d’accorder l’autocéphalie à l’Ukraine qu’a prise Constantinople.
Le métropolite Hilarion : Je ne peux pas vous révéler le contenu de cet entretien confidentiel. D’une façon générale, cependant, la position du Vatican sur ce qui s’est passé ou se passe en Ukraine a été suffisamment et à maintes reprises exprimée par le pape lui-même, ou par ses représentants. Nous n’avons jamais entendu de la bouche du pape ou de ses représentants le moindre soutien aux actes de brigandage de Constantinople. Nous n’avons jamais entendu qu’ils soutiennent les actes du pouvoir ukrianien, visant à la discrimination de la population russophone. La position personnelle du pape François, celle du Vatican en tant qu’état, celle de l’Église catholique romaine à tous les niveaux, est très équilibrée.
E. Gratcheva : Monseigneur, vous avez mentionné la rencontre du patriarche Cyrille avec le pape François à La Havane. Tout le monde se demande s’il faut attendre la visite du chef de l’Église catholique en Russie dans un proche avenir. On en parle beaucoup, dans les médias. Si cela se produit, en quoi cet évènement serait-t-il historique ? En quoi est-ce important, selon vous ? En avez-vous parlé pendant l’audience ?
Le métropolite Hilarion : Je n’en ai pas parlé pendant l’audience, parce que cette question n’est pas à l’ordre du jour de nos relations bilatérales. C’est un sujet qui intéresse surtout les journalistes, mais qui n’intéresse pas actuellement les fidèles. Dans les milieux orthodoxes, dans l’Église orthodoxe russe, au moins une partie des fidèles, et ce sont des fidèles actifs, sont généralement mal disposés envers l’Église catholique. Si cette visite avait lieu, elle risquerait de s’accompagner de provocations diverses, elle susciterait des mécontentements, ce dont nous n’avons absolument pas besoin.
L’Église catholique en Russie a aussi récemment déclaré qu’une visite du pape dans le pays serait prématurée. Dire qu’il y a en Russie des foules de catholiques qui attendent la venue du pape, c’est pour le moins exagéré, ce sont des spéculations oiseuses de journalistes.
E. Gratcheva : Dans une de nos précédentes émissions, vous avez dit que Petro Porochenko ne resterait pas débiteur du patriarche de Constantinople et remercierait Constantinople pour ce qu’il a entrepris en faveur de l’octroi de l’autocéphalie. Il semble que des mesures en ce sens aient déjà été prises : Porochenko a fait don de l’église Saint-André au Patriarcat de Constantinople. Est-ce une partie de ces dons dont nous parlions ? Y en aura-t-il d’autres ?
Le métropolite Hilarion : C’est une partie de la transaction, mais Constantinople a des vues sur d’autres biens immobiliers. L’église Saint-André est un grand et beau bâtiment historique. Si vous allez vers la laure des Grottes de Kiev, en descendant le Dniepr vous passez devant. Aujourd’hui, cette église est un musée, elle appartient à l’état ukrainien. Pour autant qu’on puisse en juger d’après les décisions prises, elle restera propriété de l’état ukrainien et continuera à être exploitée comme musée, mais des représentants du Patriarcat de Constantinople y célébreront des offices. Je pense que ce n’est pas tout à fait ce que Constantinople espérait, et, pour autant que je sache, le président Porochenko s’apprête à se rendre de nouveau là-bas pour poursuivre les transactions.
Le patriarche Bartholomée est très pressé, et la raison de sa précipitation est que ceux qui sont derrière ce projet exigent des actes résolus et rapides. Ils ne sont pas en Ukraine, le principal commanditaire, ce sont les États-Unis d’Amérique ; dans les ambassades des États-Unis, il y même des employés qui sont spécialement chargés de s’occuper de ce thème et d’influer sur le patriarche Bartholomée. Nous le savons bien. Nous comprenons bien que le patriache Bartholomée n’est pas libre de ses actes.
Il se positionne comme le chef de l’Église orthodoxe, comme une sorte de pape de Rome pour les Églises orthodoxes. Mais le pape de Rome ne se conduit pas en prédateur, il ne pratique pas le brigandage. Lorsqu’il va dans un pays (il était par exemple récemment aux Pays Baltes, où il s’est rendu en Lituanie, en Lettonie, en Estonie), le pape vient soutenir les fidèles, prier avec eux. Il ne vient pas pour arracher quelque chose aux uns et le donner aux autres. Ce serait impensable. C’est pourtant ainsi qu’agit aujourd’hui le patriarche Bartholomée, en prédateur.
En même temps, a souligné le métropolite Hilarion, le patriarche de Constantinople agit ainsi en dépit de la volonté exprimée de la majorité des Églises orthodoxes, dont beaucoup l’ont prévenu, parfois publiquement, contre de telles actions. « Il déclare aujourd’hui qu’il n’a pas d’ordres à recevoir des Églises orthodoxes, qu’il prend ses décisions unilatéralement. Il dit que dans le passé, toutes les autocéphalies, en dehors de celles des anciennes Églises, ont été accordées par Constantinople unilatéralement, ce qui veut dire qu’il a maintenant le droit d’accorder l’autocéphalie. C’est le sujet de la discorde. »
E. Gratcheva :Quels autres biens d’église peuvent encore intéresser le Patriarcat de Constantinople en Ukraine ?
Le métropolite Hilarion : La liste est longue. Il y a un bâtiment dans la rue de la Laure, à Kiev, et une autre église. C’est pourquoi il y a actuellement des consultations, ou plus exactement des transactions.
Dans la seconde partie de l’émission, le métropolite Hilarion a répondu aux questions posées par les téléspectateurs sur le site de l’émission « L’Église et le monde ».
Question : Comment communier aux Saints Mystères, si pendant la Divine liturgie, le primat d’une Église locale commémore le patriarche de Constantinople et qu’il n’y a pas de paroisse de l’Église orthodoxe russe sur le territoire de la Pologne ?
Le métropolite Hilarion : Il faut préciser que nous n’avons rompu qu’avec le Patriarcat de Constantinople. On peut donc communier dans les paroisses des autres Églises locales, même si le primat de cette Église fait mémoire du patriarche de Constantinople.
Question : Les Russes peuvent-ils faire commémorer leurs proches par les moines athonites ?
Le métropolite Hilarion : Oui, on peut tout à fait demander aux moines athonites de commémorer ses proches.
Question : Que doivent faire ceux qui pensaient partir au Mont Athos comme novices ou pour y travailler bénévolement ?
Le métropolite Hilarion : Si vous êtes un membre de l’Église orthodoxe russe, vous ne devriez pas aller au Mont Athos comme novice ou comme bénévole pour l’instant, mieux vaut postuler à Valaam, aux Solovki, ou dans un autre monastère de l’Église orthodoxe. Parce que vous aurez du mal à être novice ou travailleur bénévole sans pouvoir communier. Or, ayant rompu la communion avec Constantinople, nous déclarons par là que le Patriarcat de Constantinople est schismatique. Nous espérons que ce sera temporaire, que cette situation sera surmontée. Mais tant qu’elle ne l’est pas , il ne faut pas aller au Mont Athos, mais dans l’un des monastères de l’Église orthodoxe russe.
Question : Peut-on aller à l’office, sans participer aux sacrements à l’église Saint-Alexandre-de-la-Neva, rue Daru, à Paris, qui appartient à présent au Patriarcat de Moscou ?
Le métropolite Hilarion : L’église Saint-Alexandre-de-la-Neva rue Daru a été construite par des Russes, grâce à l’argent des tsars, mais Constantinople s’en est emparé illégalement. Cela s’est produit dans les années 1930, et ce sont des clercs du Patriarcat de Constantinople qui y célèbrent aujourd’hui. On peut y assister aux offices, on peut y prier, mais les fidèles de l’Église orthodoxe russe ne doivent pas y communier pour l’instant.